J 16 Kungur-Achit

26 Mai 2018

Je quitte Kungur sans trop de déplaisir… mon étape était d’un confort rudimentaire : pas de douche, restauration limitée, propreté douteuse… heureusement que Sergey à Kazan m’avait fait cadeau d’un spray désinfectant alcoolisé (Сергей спасибо) et que j’ai quelques lingettes pour une toilette de fortune. En plus ma chambre est envahie de fourmis… mais ça on le voit aussi à la maison (n’est-ce pas Benoît et Eli !).

Donc je pars avec un café et un donuts dans l’estomac. Et dehors il fait toujours froid.

Je comprends mieux ce micro-climat polaire en croisant un panneau au premier carrefour :

Glaciaire de Kungur ! Tout s’explique… je suis dans une espèce de frigidaire géant et on est en train de tester ma résistance au froid ! OK, alors une petite montée pour se réchauffer et on n’y pense plus.

Ma route descend vers le sud : j’espère que ça va finir par se réchauffer un peu.

En attendant je m’accorde une pause au bout d’à peine 19 kilomètres. Purée – saucisse et un thé chaud ça ne peut pas faire de mal.

J’en profite pour commencer le compte-rendu de la journée… un bon moyen de paresser au chaud. Mais il faut repartir !

Il fait toujours froid quand j’arrive à la pause déjeuner mais le bortch est délicieux, de même que le goulasch.

Je change de vêtements car sous deux coupe-vent mes autres vêtements sont trempés.

Mais il ne me reste que 40 km que j’avale comme le bortch !

Hôtel avec douche (et suffisamment d’eau chaude pour me laver et faire une lessive), je suis maintenant en mesure de disserter sur les distances.

En effet c’est un sujet qui intéresse tout le monde (surtout vous j’espère…) depuis qu’on mesure des champs, des trajets, des pays.

Toutes mes pensées sont focalisées sur les kilomètres parcourus, ceux à parcourir, la vitesse moyenne à laquelle je roule… mais c’est la même chose pour vous quand vous prenez un TGV qui roule à 300 km/ heure ou que vous faites 750 km avec votre voiture pour aller aux sports d’hiver ou 0,750 km à pied pour aller acheter votre baguette de pain.

Mon histoire commence vers -250 par celle du pharaon qui voulait connaître la taille du royaume d’Egypte et ce que ce royaume représentait par rapport au reste du monde.

Un pharaon sait s’entourer de serviteurs efficaces et il avait pour répondre à cette question un « arpenteur » et un mathématicien grec (Ératosthène). L’arpenteur savait faire des pas réguliers sur une grande distance. Le mathématicien grec avait de bonnes notions de trigonométrie et savait que la terre était ronde.

L’arpenteur remonte le cours du Nil d’Alexandrie jusqu’à la première cataracte du Nil (là où se trouve le barrage d’Assouan).

Il fait environ 1 million de pas (simples) pour remonter le cours du Nil.

Le mathématicien plante un bâton dans le sable à Alexandrie et mesure l’angle du soleil à midi le 21 Juin, jour du solstice d’été. Au même moment le soleil est au zénith de la première cataracte puisqu’elle se trouve au niveau du tropique du Cancer. Il lui est donc facile (!) de calculer la différence de latitude et surtout la part de la circonférence que représente cet angle sur une sphère… il en déduit que le royaume d’Egypte représente (environ) 1/12 de l’hémisphère nord, soit 1/48 de la circonférence terrestre qui, du coup, fait 48 millions de pas. Si on fait 12.000 pas au kilomètre ça donnerait une circonférence de la Terre de 40.000 kilomètres… ce qui est exactement ça !

Donc trois siècles avant notre ère on était capable d’estimer de façon relativement précise la dimension de notre planète… et du royaume d’Egypte.

Par la suite les unités de mesure comme le pas ont été remplacées par des unités plus « mathématiques » comme le mile (marin) et le kilomètre.

Les premiers à rationaliser la mesure de distance ont été des navigateurs qui avaient grand besoin de savoir le chemin parcouru et celui restant à faire pour arriver au prochain port (afin de vider une barrique de rhum).

Et les premiers vrais navigateurs ont été anglais, portugais, italiens, hollandais et aussi un peu français.

Mais ceux qui ont donné une unité de mesure à tous les matins du monde ont été les anglais…

Pour cela ils ont fixé comme étalon de distance une minute d’arc terrestre et l’ont appelé le mile marin.

Si on considère l’angle formé par l’axe entre les deux pôles et l’axe de l’équateur on a un angle droit.

L’angle droit, comme chacun sait, bout à 90°… euh non l’angle droit mesure 90°.

Dans chaque degré combien de minutes ? Vite à vos petits rapporteurs ! C’est pourtant simple puisque c’est comme pour les heures, soixante. Un angle droit de 90° correspond à 5.400 minutes (90 x 60 = 5.400).

Donc la distance du pôle Nord (ou du pôle Sud) à l’équateur correspond à 5.400 minutes d’arc terrestre et donc à 5.400 miles marins. Comme auraient dit nos amis latins « Quod erat demonstrandum » (ou CQFD pour nous gaulois)

Mais nos kilomètres alors, d’où viennent-ils ?

Vous vous souvenez sûrement d’un épisode de l’histoire de France : la révolution de 1789.

Quel a été le premier travail des révolutionnaires ? Instaurer un système de poids et mesures unifié sur le territoire de la nation. En effet chaque région avait ses différentes unités de poids, de volume, de longueur, ce qui permettait aux pouvoirs locaux de « faire bonne mesure »… comme ils l’entendaient.

Donc nos révolutionnaires décident d’instaurer des volumes, des poids et des longueurs identiques pour tous.

La première tâche est l’unité de longueur (les autres vont en découler).

On va pour cela mesurer (comme nos ennemis héréditaires, les anglois) la distance d’un pôle à l’équateur.

Mais nous sommes aussi à l’époque de la décimalisation… nous n’allons plus mesurer les angles en degrés et minutes mais en grades et en centigrades.

Inutile de rappeler aux plus âgés nos rapporteurs de la petite école où il y avait une double mesure des angles…

Pour les plus jeunes sachez qu’un angle droit (90°) mesure dans le système des grades, 100 grades. On comprend très vite pourquoi ce système de grades et centigrades n’a pas fonctionné quand on veut mesurer les angles d’un triangle équilatéral : 180° divisés par 3 ça fait 60°, mais 200 grades divisés par 3 et bien « ça ne tombe pas juste ! ».

Bref on est parti sur ce principe de grades et centigrades pour obtenir « notre » unité de mesure à nous, les révolutionnaires français !

Un angle droit de 100 grades comporte combien de centigrades ? Sachant qu’il y a 100 centigrades par grade… ça fait ?

100 x 100 = 10.000

Il y aura donc 10.000 centigrades d’arc terrestre du pôle à l’équateur et ce centigrades on va l’appeler le kilomètre.

Il y a par conséquent 10.000 km d’un pôle à l’équateur et 40.000 km pour faire le tour de la terre.

Et notre bon vieux mètre est la millième partie de ce centigrade d’arc terrestre…

Exercice pratique : combien mesure un mile marin exprimé en kilomètres ?

10.000 / 5.400 = 1,852 km

Je ne sais pas combien d’entre vous vont avoir envie de se désabonner de ce blog en lisant ces explications mais ne partez pas je vous reparlerai de Michel Strogoff bientôt… si vous êtes sages 😜

Et pour me faire définitivement pardonner je vous fais cadeau d’un beau coucher de soleil du Tatarstan à Achit

A bientôt !

11 réflexions sur « J 16 Kungur-Achit »

  1. Bien Mr le professeur ! As-tu lu « la chevelure de Bérénice  » ? Mais quelque chose m’inquiète : tu es passé du 15 ème au 17 ème jour. Tu es comme les chevaux, tu sens l’écurie, pourtant tu en es encore loin…bises

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    1. Je cherchais le nom de ce livre… merci. Bien sûr comme j’ai lu l’histoire de la mesure géodésique de la France après la révolution… mais je ne me souviens plus du titre non plus.
      Pour la numérotation je viens de corriger… merci !

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      1. Denis Guedj a écrit « les cheveux de Bérénice » et pas « la chevelure  » et aussi « la méridienne » qui raconte l’épopée de Delambre et Méchain les savants qui ont mesuré le méridien de Dunkerque à Barcelone (en se trompant d’ailleurs) ; j’ai vu aussi une pièce de théatre sur ce sujet dont j’ai oublié le titre. Mais nous ne voulons pas te distraire de ton objectif avec ces considérations mathématiques. Concentre toi sur ton objectif et continue à nous tenir en haleine. bises quotidiennes.

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  2. Bon tu es vraiment increvable.
    Nous faire un tel exposé après combien ? 120 km de vélo ?
    Aller, vas avaler un nouveau bortch !
    Mais bon, comme dirait l’autre : « Merci pour ce moment ».
    Et finalement on est bien plus avec toi depuis que tu es parti !
    Trouvez l’erreur !

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