2022-06-01 Karaganda

Je ne vais pas trop parler vélo pour cette étape qu’on pourrait qualifier « de transition ». Le nom de la ville de Karaganda m’avait fait un peu fantasmer et j’avais décidé d’y passer un assez long moment pour la découvrir.

Donc aujourd’hui un minimum de vélo (37 km) et un maximum d’histoire de Karaganda.

Comme Pierre-Albert l’avait anticipé dans son commentaire le vent avait tourné pendant la nuit et en regardant les fumées des multiples cheminées de l’aciérie Arcelor-Mittal, je savais déjà que le vent allait souffler dans la bonne direction ce matin.

La température elle aussi avait tourné casaque (je suis désolé il fallait que je place ce mauvais jeu de mot une fois… c’est fait, dormez tranquilles braves gens) et on était un peu en dessous de 10° ce matin. Donc mon problème du matin a surtout été de choisir une tenue cycliste adaptée.

Une petite photo de l’hôtel avant de partir :

C’était un vrai petit palace…

Et une photo panoramique de Temirtau

Regardez bien : au premier plan des vaches et un vrai cow-boy
Et là le minaret et le bulbe ont l’air de faire bon ménage côte à côte

Avant d’arriver à Karaganda une panthère des neiges monte la garde (je ne vais pas en faire un livre ou un film…)

Ensuite l’arc de triomphe de rigueur pour m’accueillir :

Et en arrivant à l’hôtel que j’avais repéré grâce aux bons soins de Google… déception il a été transformé en « Business Center »

Je fais une recherche rapide et je choisis un autre hôtel à l’autre bout de la ville (ce qui me permet de la visiter une première fois) et j’arrive dans un hôtel rescapé de l’époque avant Brejnev. Chambre immense, couloir gigantesque, piscine et sauna au sous-sol… pour 25€ la nuit pourquoi s’en priver ? D’autant que l’accueil est très cordial, qu’il y a une salle à manger (et de bal) qui accueille une clientèle simple (ouvriers d’une entreprise d’électricité par exemple) avec une formule snack.

Chambre avec vue sur la station service voisine
Il faut une trottinette électrique pour travailler dans cet hôtel…

Après le déjeuner la visite de Karaganda commence

Je suppose que c’est le premier bloc de charbon trouvé à Karaganda
Comme sur la place Rouge à Moscou, il y a un centre commercial Gum
Le musée d’histoire locale
Il retrace abondamment l’histoire des guerriers Kazakhs, impressionnants sur leur cheval.
Mais visiblement en 1628 (date à vérifier) ils ont trouvé plus forts qu’eux et ont été décimés…
Enfin peut-être même plus que décimés
L’habitat traditionnel : la yourte
Et les inhumations (ici une femme) à l’âge de pierre

L’époque moderne… cette section du musée est constituée de documents écrits, de livres, de photos. Donc rien de bien intéressant à photographier.

Il y a bien des machines à extraire le charbon qui sont présentées , des photos de mineurs stakhanovistes, récompensés par des médailles, mais il y a surtout des histoires de goulag, de camp de prisonniers, d’orphelinats où étaient gardés les enfants de morts au goulag.

C’est là que mes neurones se sont reconnectés : je n’avais pas entendu parler de Karaganda dans un livre de Kessel, non, mais dans l’archipel du goulag d’Alexandre Soljénitsyne. Il a en effet séjourné au goulag de Karaganda, un parmi tant d’autres.

Car ils ont été nombreux à être déportés dans la région de Karaganda :

Russes, Ukrainiens, Kazakhs, Allemands (les allemands de la Volga, lisez le livre de Gouzel Iakhina qui porte ce titre), Tatars, Coréens, Belarusses, Polonais, Tchétchènes, Azéris, Bachkires, Mordves, Ouzbeks, Moldaves… et la liste n’est pas finie.

Toutes ces nationalités sont encore présentes en nombre dans la population de Karaganda. C’est ça « l’avantage » d’une prison à ciel ouvert : on ne s’en échappe pas. Les prisonniers y ont quasiment fait souche (enfin ceux qui ne sont pas morts).

Les Karagandais sont donc en grande partie des enfants, petits-enfants de prisonniers du goulag.

Ça change un peu la vision des choses et des gens quand on se promène en ville, vous pouvez me croire.

Et donc, en plus des prisonniers déportés, leurs épouses ont subi le même sort par une espèce de transmutation de la peine infligée à leur conjoint.

Et les enfants bien entendu entraînés dans la même tourmente…

Ainsi j’ai appris que la petite bourgade d’Osakarovka où j’ai dormi avant hier, avait accueilli un gigantesque orphelinat d’enfants de goulaguisés.

Les soviétiques étaient organisés et méthodiques : je vous livre tel quel un document que j’ai scanné au musée et traduit (traduction photo automatique, c’est magique, mais en l’occurrence c’est triste) :

Orphelinats

Commissariat du Peuple

Sur le territoire de la région de Karaganda, il y a un contingent d’enfants de 1852 enfants, dont deux orphelinats sont nouvellement organisés

Les enfants évacués sont arrivés 800 personnes. Parmi les enfants suivants de l’orphelinat de la RSS d’Ukraine de Kirovograd – 190 personnes.

Stadnitsky – Région de Voronej – 70 personnes.

Région Utkovsky Kharkiv – 198 personnes. Région de Korobkinsky-Koursk – 136 personnes.

Rylsky

École maternelle de l’orphelinat Rylsky – 42 personnes. École des sourds-muets à Kharkov – 78 personnes.

A la mi-décembre 1941, les orphelinats sont recensés

  • 86 personnes
  • Etc… etc

Je n’ai pas pu tout scanner en une fois et la traduction automatique n’est peut-être pas parfaite mais ça montre un détachement administratif, sachant en plus qu’on parle d’enfants, qui fait froid dans le dos.

A l’histoire du goulag s’ajoute aussi celle du Karlag (pour Karaganda Lager), Karaganda ayant abrité à partir de 1941 un gigantesque camp de prisonniers où ont été jeté pêle-mêle des allemands, des japonais… qui ont participé à l’édification de la ville.

En fouillant un peu Wikipedia, je suis arrivé sur un article du Figaro qui rend compte d’une émission de France 5 du 29 Mai 2011 où témoignent des survivants ou des enfants du goulag de Karaganda.

Lisez l’article à défaut de voir le reportage, c’est édifiant et poignant :

Article du Figaro du 39/05/2011 par Jean-Marc Gonin

Je termine mon petit compte-rendu sur Karaganda sur une note moins triste ou moins tragique : en rentrant à l’hôtel après ma visite de la ville je me suis arrêté pour photographier une église orthodoxe.

Un jeune pope me demande ce que je fais là d’un air peu amène. Je lui réponds en anglais que je suis un touriste français venu visiter le Kazakhstan et que je voulais faire une photo de cette belle église…

Il entrouvre le col de sa chemise et sort une croix en pendentif. Il me la désigne et me pointe du doigt. Paris vaut bien une messe, une photo d’église orthodoxe, un pieux mensonge, Je m’entends lui dire « I am christian » (je préfère l’écrire en anglais, je ne voudrais pas aggraver mon cas en traduisant ce blasphème).

Du coup j’ai le droit de faire deux photos (✌️ avec les doigts du pope bien dressés)… je n’abuse pas, je n’en fais qu’une tant je me sens coupable :

Il est tard et je n’ai plus le courage d’ajouter des légendes à toutes les photos… j’espère qu’il n’y a pas trop de fautes de frappe (Benoit, tu me feras la liste des corrections 😜)

À bientôt pour la suite !

4 réflexions sur « 2022-06-01 Karaganda »

  1. L’Histoire n’a rien d’un long fleuve tranquille! Merci de nous le rappeler, même si l’actualité, hélas, confirme que la nature humaine amène aussi à la violence de l’homme sur l’homme. J’espère que la suite sera plus riante, mais…

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