Dans une de ses chansons, Gaël Faye dit à propos de Paris : « On n’écrit pas de poème pour une ville qui en est un ».
C’est un peu la même chose pour Khiva : difficile d’écrire un article sur Khiva, tant cette petite ville recèle de trésors.
L’histoire de Khiva
Située sur le cours inférieur de l’Amour-Daria, fleuve qui se jette (ou plutôt, se jetait) dans la mer d’Aral, Khiva a connu une histoire tumultueuse, alternant entre indépendance et tutelle de puissances extérieures.
Avant son rattachement à l’empire Perse au VIème-Vème siècle avant JC, Khiva était citée dans le livre sacré des Zoroastriens « Avesto », sous le nom de Kharizam. C’est donc une cité pluri millénaires.
Devenue une des satrapies de l’empire perse, la région de Khorezm obtient son indépendance vers le IVème siècle av. JC. C’est à cette époque qu’apparaît l’écriture khorezmienne.
Lors de sa conquête de l’Asie centrale par Alexandre le Grand, des sources grecques citent la signature d’un traité de paix avec le roi de Khorezm.
À partit du premier siècle de notre ère une nouvelle dynastie, les Afriguides, arrive au pouvoir et le restera jusqu’au Xème siècle.
Après la conquête arabe du VIIIème siècle, le royaume de Khorezm devient partie intégrante du khalifat et du monde musulman.
Au XIIIème siècle ce sont les invasions mongoles qui détruisent le royaume, avant qu’il ne se redresse à l’époque de Tamerlan et s’intègre à l’empire timouride (XIVème-XVème siècle).
La région devient une entité à part au XVIème siècle, sous le pouvoir des khans tchingisides.
Suite à une modification du delta de l’Amour-Daria, Khiva devient la capitale du khanat.
En 1870 la Russie a établi le protectorat sur le khanat de Khiva. En 1920, le khan de Khiva a été destitué, et en 1924, son territoire a été intégré à l’Ouzbékistan.
La ville de Khiva
La cité historique de Khiva est insérée dans une enceinte fortifiée rectangulaire de 650 mètres sur 400. Sur ces 26 hectares, Itchan-Kala (la citadelle intérieure) regroupe la Cité médiévale.
Le mur en pisé d’une longueur de 2200 mètres et d’une hauteur entre 7 et 8 mètres est renforcé par des tours :
Au milieu de chacun de ces murs, se situe une porte (darvaza). La porte d’ouest Ata-darvaza est près de Kunia-Ark, la porte du nord Bakhtcha-darvaza donne sur la route d’Ourgentch, celle de l’est, Palvan-darvaza, mène vers Hazarasp et le fleuve Amour-daria, celle du sud, appelée Tosh-Darvaza, mène vers Kara-koum. Les grandes routes « nord-sud » et « l’ouest-est » joignent les portes et divisent l’Itchan-Kala en quatre parties.
Plan d’ensemble d’Itchan-Kala, la forteresse intérieure de Khiva. (Le Nord est à gauche sur ce plan)Photo satellite d’Itchan-Kala (souce Google Maps)
Itchan Kala, centre historique de Khiva, est inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Plus de soixante monuments d’architecture s’y trouvent, dont les palais des khans, des mosquées, des médersas, des minarets et des mausolées.
Nous allons commencer la visite par la Madrassah Amin Khan et le minaret tronqué qui la jouxte.
Madrassah Amin Khan et Kalta-Minor
En face de Kunia-Ark, près d’Ata-Darvaza, il y a la plus grande médersa de Khiva, qui porte le nom de Muhammad Amin-khan (1845-1855). C’était le khan le plus belliqueux dans l’histoire de Khiva, avec une armée plus de 40 000 cavaliers. En conquérant les terres des Turkmènes, il a élargi et affermi les frontières du khanat de Khiva. Il est mort à la suite d’une contre-attaque hardie des combattants turkmènes, contre son camp militaire. Décapité, sa tête a été envoyée au chah de Perse, qui a ordonné de l’enterrer avec les honneurs. Malgré sa courte vie, Muhammad Amin a eu le temps d’accomplir son devoir de khan et de construire une nouvelle médersa à Khiva. Le portail, couronné par 5 coupoles et flanqué des tours, comporte l’inscription suivante : « Cette magnifique construction restera éternellement pour la plus grande joie de nos descendants ». Elle mesure 78 m sur 60 m et elle est dotée de 125 cellules, pouvant accueillir jusqu’à 260 élèves. Près de la médersa Muhammad Amin-khan, est situé le minaret inachevé Kalta-minor (Minaret court), il est entièrement couvert de carreaux glaçurés de couleurs variées. Le diamètre de la base est 14,2 m et Kalta-Minor était destiné à devenir le plus haut minaret de l’Asie Centrale. A juger par ses proportions, sa hauteur aurait dû dépasser 80 m. La construction du minaret a commencé environ en 1855, mais s’est arrêtée une fois une hauteur de 26 m atteinte, à cause des révoltes et de la guerre civile au khanat, après la mort de Muhammad Amin-khan.
Kalta-Minor
Une légende présente une version plus triviale : le khan de Boukhara, ayant appris la construction d’un minaret grandiose à Khiva, s’est mis d’accord avec l’architecte pour que celui-ci construise un ouvrage encore plus grandiose à Boukhara. Ayant appris ce projet, le khan de Khiva, furieux, a ordonné de jeter l’architecte du haut de son minaret. Les travaux de construction ont donc été arrêtés.
Une autre légende, plus romantique celle-là, explique l’arrêt de la construction par le fait que les ouvriers pouvaient voir la cour du palais depuis le minaret en travaux et qu’en poursuivant leur travail ils allaient avoir une vue plongeante sur le harem du khan…
Aujourd’hui ce sont les touristes qui profitent de la reconversion en hôtel de luxe de cette ancienne médersa…
La cour intérieure de la médersa-hôtel de luxe
MEDERSA KHURDJUM ET CELLE DE ALLAH-KULI-KHAN
La première médersa construite près de la porte Pavlan-Darvaza de l’Itchan-Kala était la médersa Khodjamberdy-biy, datant de 1688. Un siècle et demi plus tard, le khan Alla-Kuli-khan a choisi cette place pour la construction de la nouvelle médersa de Khiva. La place était étroite et pour la construction de la médersa, Alla-Kuli-khan a été obligé de détruire une partie du rempart d’itchan-Kala. Le bâtiment de la vieille médersa Khodjamberdy-biy a subi une reconstruction radicale. En raison de la différence entre les niveaux, elle a servi de plate-forme pour la médersa d’Alla-Kuli-khan. La montée, en forme du toboggan, a divisé la médersa Khodjamberdy-biy en deux parties, d’où son surnom -médersa Hurdium (« sac de voyage »). La nouvelle médersa d’Alla-Kuli-khan a assuré des revenus importants au khan. Il a reçu comme wakf (don), 1 000 ha des terres irriguées, ainsi que le tim voisin au nord (le passage commercial) et le caravan-sérail d’Alla-Kuli Khan. Au sud du portail de la médersa se trouve la mosquée, au nord la salle de cours, dans quelques cellules était installée la bibliothèque, fondée par Alla-Kul-khan, ouverte pour tous élèves de toutes les médersas de Khiva.
L’entrée de la médersaLa cour intérieure et l’entrée
La moquée DIUMA-MASJID
La mosquée du vendredi, Djuma-masjid est située au centre d’Itchan-Kala, sur le chemin, menant de Palvan-darvaza vers Ata-darvaza. Djuma-masjid est construite au XVIIIème siècle, mais reproduit un très ancien style de grande mosquée, dotée de toit plat, reposant sur des colonnes en bois. Une structure similaire était utilisée pour les anciennes mosquées arabes, aux VIIème-VIlIème siècles. La charge principale, pour créer la géométrie remarquable de l’intérieur de Djuma-masjid, est portée par 212 colonnes sculptées.
La plupart de ces colonnes datent du XVIIIème-XIXèmesiècles. D’autres proviennent des bâtiments médiévaux détruits.
Les plus anciennes de ces colonnes, pouvaient provenir de la ville de Kiyat, ancienne capitale du Khorezm, engloutie par l’Amou-daria.
Vingt et une colonnes de Djuma-masjid datent au XIème siècle et possèdent des inscriptions coufiques, 4 autres colonnes possèdent des inscriptions en écriture naskh.
Les colonnes plus récentes du XVIllème et du XIXème siècles sont reconnaissables grâce aux motifs floraux et végétaux. Au mur du nord de la mosquée, il y a un minaret dont le diamètre de la base est de 6,2 m et la hauteur 32,5 m.
KUNYA-ARK
Kunya-Ark, ce qui veut dire « Citadelle ancienne », est la citadelle interne de l’Itchan-Kala, et occupe une superficie de 1,2 ha. Elle a été construite seulement à la fin du XVIIème siècle sous le khan de Khiva, Muhammed-Erenek (1687-1688), quand il est apparue nécessaire d’assoir le pouvoir du khan. Un siècle plus tard, Kunya-Ark est devenu une « ville dans la ville », séparée d’Itchan-Kala par un mur. Il y avait la mosquée du khan, sa résidence, la Cour suprême, la salle de réception (kurinysh-hona), l’usine de poudre, l’arsenal, la cour de monnaies, la chancellerie, le harem, la cuisine, l’étable, le corps de garde, etc.
En entrant par la porte principale, on voit une vaste cour ouverte qui fait l’objet de fouilles archéologiques.
Du côté de l’ouest se trouve la salle de réception (kurinysh-hona). Les bâtiments sont de l’époque du règne d’Iltuzar-khan (1804-1806). Le palais dispose de plusieurs pièces pour les audiences.
La mosquée d’été du palais de l’émir de Khiva
Dans la partie du nord, il y a une cour avec une yourte, dans laquelle le khan de Khiva trônait lors des réceptions. Au coin nord-ouest de kurinysh-hona, il y avait une sortie vers un couloir menant vers la partie du nord de Kunia-Ark.
C’est ici que se trouve la mosquée du khan, la cour de la monnaie, ainsi que le harem et la tour d’Ak-Cheik-bobo. C’est l’endroit le plus élevé de Kunia-Ark, utilisé comme poste d’observation de la citadelle.
Vue depuis la tour d’Ak-Cheik-bobo
La cour de monnaie se trouve en face de l’entrée dans la partie du nord de Kunia-Ark. Elle a été ouverte assez tard, au sein de Kunia-Ark, durant le règne de Muhammed-Rahim-khan l (1806-1825). Il a réalisé une réforme fiscale dans son khanat, créé une douane et a commencé à frapper les pièces d’or.
Reconstitution de l’atelier des monnaies
Vous noterez que tous les artisans employés dans l’atelier des monnaies ont une barbe taillée très court : un jour le vizir charge de la surveillance de cet atelier s’est aperçu que des pièces d’or sortaient de l’atelier, dissimulées dans les barbes (de là l’expression « disparaitre au nez et à la barbe » ?)
À côté de la cour de monnaie, se trouve la mosquée du khan, érigée sous le khan Alla-Kuli (1825-1842), l’héritier de Muhammed-Rahim-khan Ier. Au pied de la tour Ak-Cheik-bobo, se trouve le harem du khan (celui qu’on risquait de dominer si le minaret Kalta-Minor avait été achevé) et des bâtiments d’habitation. Ces bâtiments furent construits tardivement par ordre de Muhammed-Rahim-khan II.
Tash-Khaouli
Entre 1830 et 1840, par la volonté d’Alla-Kuli-khan, le centre de l’état, ainsi que le centre de la vie sociale et commerciale de Khiva, se sont déplacés vers la partie est de l’Itchan-Kala, près de Palvan-darvaza, où fut érigé un ensemble, portant le nom de son fondateur, Alla-Kuli-khan, dont une nouvellle médersa, un caravansérail et un tim. En même temps, Alla-Kuli a ordonné d’ériger un nouveau palais, appelé Tash-Khaouli (littéralement « la cour en pierre »).
Ce palais ressemble ressemble à une petite citadelle avec de hauts murs, couronnés de créneaux, des tourelles et dotés des portes fortifiées. Il a également une structure traditionnelle des maisons et des résidences rurales (khaouli) avec des cours fermées, les aïwans ombragés avec colonnes et terrasses.
Vue satellite du Palais de Tash-Kaouli (source Google Maps)
Le khan a exigé des architectes que cette construction soit réalisé très rapidement ; quand l’architecte Nur-Muhammad Ousto Tadji-khan a refusé de finir la construction du palais en deux ans, Alla-Kuli-khan l’a fait empaler. Après quoi, un autre architecte Ousto Kalandar Khivaki, a construit le palais en neuf ans (comme quoi ça n’était pas vraiment utile de changer d’architecte…)
Tash-Khaouli est composé de trois parties, regroupées autour des cours intérieures. Dans la partie du nord est situé l’habitation du khan et le harem.
La cour intérieure de l’habitation du khan avec le haremL’appartement du KhanBureau du secrétaire (mirzo) du palais extérieurLogement d’une des concubinesCouloir reliant la partie résidentielle du Palais aux salons de réception
Au sud-est, il y a une salle d’apparat, Ishrat-khaouli. Au sud-ouest, il y a la salle de réception destinée pour les débats judiciaires, appelée arzkhana.
La salle d’audience
Au centre d’Ishrat-khaouli est située une terrasse ronde surélevée, sur laquelle était installée la yourte en feutre pour le khan, destinée à l’accueil des visiteurs de haut rang.
La yourte pour l’accueil des visiteursVue à l’intérieur de la yourte
Les cours sont reliées par un labyrinthe de couloirs et de pièces (afin de rendre plus difficile une attaque).
La particularité de la décoration de Tach-Khaouli, ce sont les carreaux de majoliques, les peintures en arabesques des plafonds , les colonnes et portes sculptées. Une partie des ornements végétaux en majolique est une cartouche épigraphique, dans laquelle il y a le nom de l’architecte Abdulla « Djin ».
L’entrée des salons d’apparatet leur carreaux de majolique
Ensemble commemoratif de Pakhlavan-Makhmoud
L’ensemble de Pahlavan-Makhmoud est le centre cultuel principal d’Itchan-Kala. Il s’est formé sur la tombe du saint-protecteur de Khiva, Pahlavan-Mahmud (1247-1326), qui a vécu dans les années compliquées, sous la domination mongole en Asie Centrale. Il est connu comme un lutteur professionnel et poète-philosophe. Ses victoires l’ont rendu célèbre jusqu’à l’Inde et la Perse.
Pakhlavan-Makhmoud était professeur soufi du haut rang, en plus il était pelletier. Il est mort à l’âge de 80 ans environ à Khiva. A l’endroit où il est enterré s’est formé un cimetière au XIV-XVII siècle. La particularité de la doctrine de Pakhlavan-Makhmoud était l’éducation de la volonté des disciples par la lutte. La tombe de Pakhlavan-Makhmoud se trouve derrière l’enceinte peu élevée au nord ouest. Le bâtiment initial du mausolée a été reconstruit en 1810, par Muhammad-Rahim-khan I (1806-1825), le nouveau mausolée comprenait l’ancienne sépulture et une khanaka à double coupole élancée, dont la silhouette est l’un des symboles de Khiva.
A l’entrée du mausolée, une cour de commemoration a été aménagée et les portes de l’ancien cimetière sont devenues le portail d’entrée.
La cour de commémoration
Sur l’ordre de Asfendiyar-khan (1910-1918), fils de Feruz-chah, dans la partie de l’ouest de la cour, a été érigée une salle d’isolement pour les lecteurs du Coran, à deux étages et une mosquée d’été en forme d’aïwan, dans la partie de l’est de la cour.
Dans les trois cellules inférieures, sont enterré la mère de Asfendiyar Kutlugbiki-khanoum et deux membres de la famille du khan, les lecteurs du Coran vivaient dans les autres. Après sa mort, Muhammad-Rahim I, était enterré dans la khanaka, construite par lui-même, près du mausolée de Pakhlavan-Makhmoud.
Ainsi était fondé la nécropole des khans de Khiva. Dans la khanaka, devenue le mausolée du khan, a été transféré le tombeau en marbre du khan-historien Abu-I-Gazi (1603-1664) et celui de son fils d’Anush-khan. Ensuite, a été construite l’aile de l’est, dans laquelle est enterré Alla-Kuli-khan (1825-1842). Un autre khan de Khiva, Asfendiyar, a arrangé de son vivant une grande sépulture familiale, dans la salle à l’entée du memorial, mais il n’y a pas été enterré, parce qu’il est mort hors des remparts de la ville, et d’après la tradition, le corps du défunt ne pouvait pas traverser la muraille.
Flâner dans Khiva
Se promener dans Khiva c’est trouver à chaque intersection de ruelles des batiments magnifiques, des sculptures qui retracent la vie locale, découvrir l’artisanat de la région de Khorezm.
Comme vous pouvez le voir il n’y a aucun fil électrique ou de téléphone, aucune antenne de télévision ou parabole qui viennent gâcher la vue dans Itchan-Kala.
Des petits musiciens traditionnelsLa porte Est d!Itchan-Kala (Palvan Darvoza) où sortaient les esclaves tous les matins et où ils rentraient le soir
Les gardiens de la porte « Palvan Darvoza » recevaient un salaire jusqu’à trois fois supérieur à celui de leurs collègues des autres portes car ils étaient chargés de surveiller les esclaves de Khiva.
Les cellules où les esclaves étaient enfermés derrière la porte Palvan DarvozaPetites boutiquesLes marionettes : une spécialité de KhivaLes petits mangeurs de pastèqueAtelier de confection de tapis en soieL’heure du théLes lutteurs de KhivaLes petits musiciensLe souvenir des caravanes de la route de la soieMinaretPorte en bois sculptéPorte en bois sculptéVue de Khiva depuis le Palais de Kunya-ArkL’entrée de Kunya-Ark la nuit et derrière Kalta-MinorDes personnages surgis du passé de Khiva
Une petite histoire de Mollah Nasreddin
Pour vous remercier d’avoir lu cet article jusqu’au bout je vous livre une petite histoire de Nasreddin 😉
Nasreddin est à quatre pattes dans la pièce principale de sa maison, en train de fouiller sous les fauteuils, les tapis...
Son épouse qui rentre dans la pièce lui demande ce qu'il est en train de faire...?
Nasreddin lui répond qu'il vient de faire tomber sa bague et qu'il la cherche en vain depuis plus plus d'une demi-heure 😡
Un peu plus tard la femme de Nasreddin sort dans la cour de la maison et voit son mari à quatre pattes en train de faire le tour des arbres, du puits...
“ Qu'es-tu en train de faire ? Je croyais que tu cherchais ta bague dans le salon de notre maison ? ”
“ En effet ”, répond Nasreddin, “ mais il fait trop sombre à l'intérieur, je n'y vois rien, je préfère chercher ici ”...
Au lieu d’écrire « un tour de Boukhara », j’aurais pu écrire « le four de Boukhara ».
En effet, à la sortie du train rapide climatisé, les 42° et le soleil généreux, donnent une sympathique impression de se retrouver dans un four à pain 🥵
Heureusement le Guest House où nous allons directement poser nos bagages s’appelle « Hélène Oasis » (il a été créé par une Française) et il porte bien son nom…
Mais la parenthèse est de courte durée : Nasrulo nous emmène dans un restaurant, heureusement assez proche. Retour dans la fournaise. La température atteint maintenant 45° : les rues de l’ancien quartier juif sont désertes.
La façade de l’ancienne synagogue de Boukhara
Après le repas, une petite sieste pour éviter le pic des 47° n’est pas de refus.
La ville de Boukhara est parsemée de bassins et traversée de canaux.
Des arbres magnifiques profitent de cette eau abondante :
Celui ci a été planté en 1477
A côté de cet écrin de verdure une statue a été érigée en l’honneur de l’enfant (imaginaire) du pays Mollah Nasreddin.
Figure emblématique et incontournable de toutes les fêtes, célébrations en Ouzbékistan, Boukhara revendique être le lieu de naissance de Molla Nasreddin, personnage célèbre dans tous le Moyen-Orient, les pays du Maghreb, la Turquie, l’Asie Centrale…
Les histoires de Nasreddin oscillent entre la blague, la fable et sa morale ou même une petite leçon de philosophie.
Je vous en donnerai deux ou trois exemples à la fin de cet article.
Et je vous invite à lire l’article de Wikipedia Hodja Nasr Eddin qui lui est consacré. Vous y apprendrez, entre autres, qu’Omar Sharif a joué le rôle de Nasreddin dans un film avec Claudia Cardinale, film primé au Festival de Cannes en 1958.
Revenons à Boukhara.
Cette ville a été capitale de l’Ouzbékistan, en alternance avec Samarcande, pendant des siècles. On y trouve donc la panoplie complète des monuments d’une ville importante : médersas, palais, mosquées, tombeaux, caravansérails, bazars…
Lors de son « passage » à Boukhara, Gengis Khan a appliqué la même méthode qu’à Samarcande (et certainement dans pas mal d’autres villes) : tout raser jusqu’à la végétation. Il y a donc très peu de vestiges antérieurs au XIIIème siècle à l’exception notable du mausolée des Samanides, ou tombeau d’Ismaïl, construit au début du dixième siècle et du grand minaret de Kanon, construit en 1127.
Le minaret de Kanon
Le minaret de Kanon aurait été épargné par Gengis Khan car, selon la légende, en levant la tête pour voir le sommet du minaret, il aurait fait tomber sa toque. Il aurait dit ensuite qu’un minaret devant lequel Gengis Khan s’était découvert ne devait pas être rasé.
Le mausolée des Samanides
Pour le mausolée, il y a deux hypothèses qui expliqueraient qu’il ait été épargné par Gengis Kahn : soit le fait qu’il abrite une sépulture justifierait la clémence des Mongols, soit qu’il ait déjà été enseveli par les sables au treizième siècle, ce qui l’aurait caché à la vue des envahisseurs (c’est un archéologue russe, Chichine, qui l’a découvert sous le sable en 1934).
Tchor Minor
La visite de Boukhara commence par un ancien caravansérail – madrassa – mosquée érigée par un Turkmène, Khalif Niyazkoul, pour sa communauté.
Les quatre tours de Tchor Minor évoquent un tabouret renversé. L’ entrée de Tchor Minor
Le complexe Po-i-Kalon
Il comprend la mosquée Kalon (1514), un minaret d’une ancienne mosquée (1127) et la madrasaMir-i-Arab
La cour de la mosquée Kalon.La cour de la mosquée Kalon.Le minaret Kalon et l’entrée de la mosquée La porte d’entrée de la mosquéeLa galerie entourant la cour de la mosquée KalonLe sommet du minaret qui servait de phare pour les caravanes approchant de BoukharaUne vieille maison typique du centre de Boukhara
La madrasa Koukeldash (1568–1569) est la plus grande madrasa de la ville [7]; elle mesure 80 m sur 60 m et comprend 160 cellules sur deux niveaux. Elle fut construite en 1568 par Koulbaba Koukeldach. C’est aujourd’hui un musée consacré à l’écrivain Sadriddin Aini.
Le mausolée des Samanides
Le mausolée des Samanides ou tombeau d’Ismaïl, a été construit au début du dixième siècle.
D’après notre guide Nasrulo, il y aurait plus de 19 positions différentes pour les briques (on est loin du Kama Sutra…)
Le musée de l’eau
Il abrite également la sépulture d’un soufi :
Le marché couvert de Boukhara
Des fruits secs…Des légumes…Du pain…Encore du pain…Toujours du pain…,Des épices…
La mosquée Bolo Haouz
La mosquée Bolo Haouz, ce qui signifie « près du bassin », (1712) est située sur le Registan, à côté de la citadelle Ark et d’un bassin qui lui a donné son nom. Elle s‘ouvre sur un iwan* de 12 mètres de haut, au plafond à caissons finement décoré, soutenu par vingt colonnes de bois peint, avec des chapiteaux à muqarnas*. Cette mosquée était utilisée régulièrement par l’émir.
* j’utilise ces mots pour les retenir pour le Scrabble
La « Tour de Boukhara »
Nous quittons les monuments historiques pour arriver de plein pied dans le vingtième siècle avec cette tour métallique.
Fonctionnelle avant tout c’était, à l’origine un château d’eau.
Le château d’eau au début des années 50.
Ce qui m’a interpellé c’est la structure métallique très particulière de cette tour.
En effet son concepteur, Vladimir Choukhov, qu’on a surnommé « l’Edison russe », ingénieur et mathématicien brillant, a réalisé plusieurs tours sur ce même principe.
Un timbre de 4 Kopeks des Postes de l’URSS émis en 1963 pour le cent dixième anniversaire de la naissance de Vladimir CHOUKHOV
Lors de mon voyage en Sibérie en 2018 j’avais vu une première tour à Nijni Novgorod
La tour Choukhov de Nijni Novgorod
Quelques jours plus tard j’en avais vu une autre à Moscou :
Cette structure métallique très particulière s’appelle « hyperboloïde ». Cette forme de charpente métallique permet d’édifier des tours très légères et capables de supporter des masses importantes. Au lieu de le surnommer « l’Edison russe », on aurait pu l’appeler « le Gustave Eiffel russe ». Imaginons un instant que notre Tour Eiffel ait été construite sur ce principe, comme pour le nez de Cléopatre, la face du monde en eut été changée 🤥
Vladimir Choukhov ne s’est pas contenté d’édifier des tours : concepteur des premiers oléoducs, il a déposé un brevet décisif pour le craquage du pétrole (pour en extraire le fuel, l’essence, le super carburant…), il a construit près de 180 ponts sur la Volga, huit pavillons d’exposition pour la Foire de Nijni Novgorod, des galeries en verrière, comme celle du Goum à Moscou et 200 tours hyperboloïdes partout dans le monde.
C’était aussi un photographe passionné qui a laissé plus de 2.000 négatifs dans des genres très différents.
En tout cas avec sa Tour de Boukhara il nous donne l’occasion de faire quelques clichés supplémentaires puisqu’aujourd’hui le château d’eau a été remplacé par une terrasse panoramique…
L’école-atelier de la miniature
Au détour d’une rue (et à moins de 50 mètres de notre hôtel…) se trouve un merveilleux atelier de la miniature.
Entrés un peu par hasard par une porte plutôt banale, à l’intérieur c’est une splendeur de tableaux de miniatures
C’est surtout l’occasion d’une rencontre exceptionnelle avec Davlat Toshev, le maître des lieux qui nous explique avec passion la symbolique et le sens de ses tableaux.
Davlat Toshev, entouré par Anne et Nasroulo
Non seulement c’est un artiste, mais il s’est transformé en fabricant de papier pour créer des feuilles destinées à ses peintures de miniatures.
Davlat Toshev
Il a maîtrisé la technique de fabrication du papier de Samarcande en la perfectionnant et en lui ajoutant de véritables fils de soie.
Donc le papier de soie existe bien, contrairement à ce que je vous avais dit après ma visite de la fabrique de papier de Samarcande. Et effectivement les feuilles de ce papier ont un toucher nettement plus doux et semblent plus adaptées à la finesse des pinceaux qu’ils utilisent.
Davlat Toshev est d’abord un peintre miniaturiste reconnu. Ses œuvres ont été exposées dans de nombreux pays, dont la France, et il participe à une grande exposition sur l’Ouzbékistan au Musée du Louvre à partir du mois de novembre 2022.
Davlat Toshev forme également de jeunes miniaturistes. Ses meilleurs élèves sont des sourds muets qu’il forme gratuitement.
Enfin Davlat est aussi un conteur merveilleux et captivant quand il commence à raconter l’histoire de Scheherazade ou celle des oiseaux qui mangent les fruits d’un grenadier pour monter au paradis…
Comme vous voyez cette visite de Boukhara a été très intéressante et instructive. Un grand merci à mon ami Patrick qui m’a permis de « rencontrer » Nasreddin 😉
Quelques histoires de Nasreddin…
Le sermon
Un jour Nasreddin arrive dans un village. Les villageois viennent le voir respectueusement et lui demandent s’il peut leur faire un sermon le soir même. Nasreddin, honoré, accepte et le soir tout le village est assemblé pour écouter les paroles du sage Nasreddin. Nasreddin prend la parole et leur demande s’ils savent de quoi il va leur parler… Les villageois en cœur répondent « Non, Nasreddin, nous ne le savons pas ! » Alors Nasreddin leur répond : « Je ne vais pas faire un discours à des personnes qui ne savent même pas de quoi je vais parler… » et il s’en va, les laissant un peu interloqués. Le lendemain les villageois retournent voir Nasreddin et lui renouvellent leur demande : « Est-ce que le sage Nasreddin accepterait de nous parler ce soir pour partager avec nous son savoir ? » Nasreddin accepte et le soir tout le village est assemblé pour écouter Nasreddin. Nasreddin leur demande à nouveau : « Est-ce que vous savez de quoi je vais vous parler ? » Les villageois qui s’étaient préparés à cette question répondent en cœur : « Oui, Nasreddin, nous le savons » Nasreddin leur répond alors : « Si vous savez de quoi je vais vous parler, alors ce n’est pas la peine que je vous parle » et il les laisse en plan… Le lendemain, les villageois nullement découragés, retournent voir Nasreddin et renouvellent leur demande que Nasreddin accepte… Le soir venu tout le village est assemblé pour écouter Nasreddin. Et Nasreddin leur demande à nouveau s’ils savent de quoi il va leur parler… Les villageois s’étant préparés à cette question, la moitié lui répondent « Oui, Nasreddin, nous le savons » et l’autre moitié des villageois répondent « Non, Nasreddin, nous ne le savons pas ». Alors Nasreddin se lève et leur dit : « Ceux d’entre vous qui savent de quoi je vais parler n’ont qu’à l’expliquer à ceux qui ne le savent pas ». Et sur ces bonnes paroles il les quitta.
Nasreddin, son âne et le voisin
Un matin où Nasreddin était occupé dans son jardin, un de ses voisins vint lui demander s’il pouvait lui emprunter son âne pour transporter une lourde charge jusqu’au village. Nasreddin qui n’avait pas trop envie de prêter son âne à ce voisin qu’il n’appréciait pas beaucoup lui répondit : « Désolé, cher voisin, mais j’ai déjà prêté mon âne à mon beau fils qui est venu le prendre ce matin de bonne heure… ». C’est ce moment précis que choisit l’âne de Nasreddin, qui se trouvait dans son écurie de l’autre côté du mur, pour braire bruyamment… Le voisin dit à Nasreddin : « Comment ton âne peut-il être de l’autre côté du mur et, en même temps, parti avec ton gendre ? » Ce à quoi Nasreddin répondit : « Enfin, cher voisin, entre un âne et moi, Nasreddin, ton voisin depuis de si nombreuses années, tu ne vas quand même pas croire ce que te dit un âne…? »
D’Alexandre le Grand à Corto Maltese, en passant par Gengis Khan, Tamerlan et toute la dynastie des Timurides, la cité de Samarcande a connu une histoire fertile en rebondissements, constructions, destructions, reconstructions, tremblements de terre.
Depuis la dislocation de la Russie soviétique et l’indépendance de l’ Ouzbékistan, la ville de Samarcande a surtout connu une période de rénovation de ses monuments historiques et le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO.
De nombreux monuments, essentiellement des mausolées, qui étaient à l’état de ruines, ont été restaurés pour leur redonner leur lustre d’antan.
Des quartiers ont été rasés pour aérer la ville en les remplaçant par des jardins qui créent de véritables oasis de verdure.
Tout cela a été réalisé à l’instigation du premier président de l’Ouzbékistan après l’indépendance en 1991, Islam Karimov dont la statue est érigée dans le jardin qui jouxte l’ensemble de la place du Registan.
On retrouvera son influence à Chakhrisabz, la ville natale de Tamerlan.
Pour nous guider dans notre découverte de Samarcande, nous sommes accompagnés par Nasrulo Jumanov, ancien élève diplômé de l’institut des langues étrangères de Samarcande et assidu de l’Alliance française locale.
Nasrulo Jumanov
A peine arrivés à Samarcande, les bagages posés à l’hôtel, la visite commence par les mausolées proches de la nécropole de la ville. Après avoir traversé l’ancien quartier juif, nous arrivons au pied d’une colline qui sert toujours de cimetière. Après un escalier de quarante marches (en plein soleil 🥵) nous arrivons sur une enfilade de mausolées
Ce sont des sépultures de femmes et un saint descendant du prophète.
Certains de ces mausolées ont été restaurés et montrent des décors magnifiques :
Tous les hauts-reliefs sont réalisés en papier mâché et dorés à l’or fin. Des mosaïques qui recouvrent l’extérieur des mausolées ont été refaites en respectant les teintes d’origine.
Facade d’un des mausolées de la nécropole Chakhi-Zinda
Après les mausolées, la mosquée Bibi-Khanym
De la galerie couverte qui entourait la cour intérieure il ne reste rien. L’intérieur de l’arche principale n’est pas restauré :
L’urgence des restaurateurs a d’abord été de redresser les monuments qui pouvaient être sauvés, puis de protéger les extérieurs pour stopper les dégradations dues aux intempéries. Les restaurations des intérieurs se font ensuite.
Le dôme extérieur par contre est flamboyant
Bibi-Khanym : la coupole de la mosquée
Puis c’est l’ensemble des mosquées de la place du Registan. Le nom de cette place vient de son appellation d’origine « La place de sable ».
Cette appellation n’est pas sans rappeler la place de Grève à Paris, d’abord par la proximité des deux matières, mais aussi parce que la place de Sable était le lieu des exécutions publiques…
Le Registan est un ensemble de mosquées, de madrassa, de mausolées :
Lieu de rencontre des caravanes, caravansérails, lieu de prière, de justice, d’éducation, les plus grands savants, docteurs de la foi, y dispensaient leurs enseignements.
Mosquée Tilla-Kari
Ensuite nous nous dirigeons vers le mausolée de Tamerlan et des Timurides.
La sépulture de Tamerlan est entourée de son maître spirituel et de deux des petits-fils et deux arrière-petits-enfants
Tamerlan est le seul à être inhumé dans un cercueil car il est décédé lors d’un de ses voyages et son corps a été ramené à Samarcande, trajet qui a pu prendre deux mois.
La sépulture de Tamerlan (en pierre noire), entourée de son maître spirituel et de ses petits fils et arrière petits enfantsLa sépulture de Sheikh Oumar, chef spirituel de Tamerlan, Soufi, à l’écart des autres catafalques Les sculptures en papier mâché
Le lendemain matin en route pour Chakhrisabz, ville natale de Tamerlan.
La route s’élève jusqu’au col de Pereval, à plus de 1500 m d’altitude.
Vue du col vers la ville de ChakhrisabzNasrulo, Anne et Gios le chauffeur
Puis c’est l’arrivée à Chakhrisabz et l’entrée majestueuse du palais construit pour la mère de Tamerlan.
Une arche imposante qui culminait à… (je ne sais plus mais très haut en tout cas).
Un jeune peintre de Chakhrisabz a réalisé une maquette au 1/30 de la porte pour son diplôme des beaux arts
En regardant de près le chemin de ronde en haut de la façade vous pouvez voir deux gardes à l’échelleMosaïque d’un ancien bassin qui occupait une position centrale dans le jardin du palais. Vue de la porte d’entrée depuis l’intérieur du palais
Une imposante statue de Tamerlan a été érigée au milieu de la place gigantesque qui a été libérée pour permettre une vue d’ensemble sur l’emplacement de l’ancien palais.
Le même peintre a réalisé un tableau reconstituant une vue d’ensemble du palais.
Reconstitution du palais Ak Saray
Puis nous arrivons au mausolée de Jahonghir, fils de Tamerlan qui est mort jeune, avant son père. C’est donc son fils Og’elbek qui a succédé à son grand-père (et qui a lui-même été décapité sur ordre de son fils, vous me suivez ?)
Le mausolée de JahonghirLe mausolée de JahonghirLe mausolée de JahonghirLe mausolée de JahonghirMosquée Kok Goumbaz (mosquée dôme bleu)Les quatre frères : mausolée Goumbazi-Sayyidon, descendants du Prophète
Après cette visite de la ville natale de Tamerlan, nous rentrons à Samarcande pour découvrir une fabrique de papier.
Même si cet atelier a une vocation touristique (un peu comme nos parfumeries grassoises…), c’est d’abord un petit retour en arrière sur mon passage à Taraz, au Kazakhstan.
Je vous ai parlé de cette bataille qui a opposé les Arabes et les Chinois sur le bord de la rivière Tasz au VIIIème siècle. Elle s’est soldée par une victoire des Arabes après que des mercenaires à la solde des Tang aient fait défection et rejoint les troupes Arabes.
La conséquence de cette défaite des troupes des empereurs Tang a été l’envoi de milliers de prisonniers chinois dans les territoires d’Asie centrale.
A Samarcande des prisonniers ont été employés pour construire des remparts pour la ville.
Parmi eux certains détenaient le secret, jusque là jalousement gardé par les Chinois, de la fabrication du papier.
Et le secret est ainsi passé du côté des Arabes, dans la ville de Samarcande, donnant naissance à une industrie prospère qui a perduré jusqu’au XXème siècle, le fameux « papier de soie de Samarcande ».
A l’origine de cette fabrication, le mûrier, cet arbre sur lequel se nourrit le bombyx du mûrier dont le cocon sert à réaliser le fil de soie.
C’est ce « tronc commun » aux deux produits, le fil de soie et le papier de Samarcande, qui a vraisemblablement créé cette appellation de « papier de soie », alors qu’il n’y a absolument pas de soie dans le papier de Samarcande.
Pour la fabrication du papier c’est l’écorce des branches de mûrier qui sert de matière première de base.
Lors de la récolte des bombyx, on en profite pour couper des branches de mûrier qui sont soigneusement entreposées :
Les branches sont ensuite bouillies pour décoller l’écorce :
Ensuite une opération manuelle permet de récupérer la partie intérieure de l’écorce
Les écorces sont soigneusement raclées afin de récupérer la fibre qui va servir pour réaliser la pâte à papier.
L’écorce est ensuite ébouillantée pour ramollir les fibres.
Ensuite c’est au pilon qu’on finit de déliter les fibres. Pour cela on utilise la force motrice d’une roue à aubes :
Un arbre à cames soulève les pilons…
Côté pilons les fibres sont écrasées
Ensuite les fibres trempent dans un récipient et c’est avec une louche qu’on les verse sur un cadre grillagé qui va conserver une couche de fibres. On pose un contre cadre pour emprisonner la matière fibreuse.
On laisse égoutter soigneusement et on décolle la fine couche de papier qui va ensuite sécher sur un panneau ad hoc.
On enlève la feuille encore humide du cadre pour la faire sécher sur le panneau.
Une fois séché la feuille de papier de Samarcande a un ton sépia,
Cette teinte permet de lire sans fatiguer la vue.
Une feuille de papier de Samarcande à côté de sa cousine industrielle du vingtième siècle.
Le papier de Samarcande peut ensuite être lissé, avec une pierre ou de la corne pour obtenir un papier couché.
Voilà comment Samarcande est devenu pendant plusieurs siècles une capitale mondiale de la production du papier…
Le siècle dernier a vu péricliter cette production qui vient d’être relancée pour garder la mémoire d’une époque prestigieuse pour la ville de Samarcande.
Samarcande le soir : la foule se presse dans les rues avec les attractions pour les enfants 🤗
D’où vient le goût du voyage ? Quel est le goût du voyage ?
Quand on part on s’arrache de quelque chose qui est souvent un mélange de confort et d’habitude.
L’envie de découverte, d’aventure, de rencontres sont des ingrédients difficiles à dissocier.
Mon penchant « naturel » est d’être plutôt casanier et il faut que je prenne sur moi pour me lancer en dehors du cocon.
Bien sûr le vélo est un vecteur qui motive et qui soutient l’envie de voyager. Je trouve que c’est un excellent compromis entre voyager à pied et prendre des moyens de transport plus rapides (voiture, train, avion).
Arriver quelque part en vélo suscite toujours la curiosité : « D’où tu viens ? » « Où tu vas ? » « Depuis combien de jours tu roules ? » sont les trois questions qui sont posées systématiquement. Bien sûr c’est le prémisse à une conversation que la barrière de la langue ne facilite pas toujours. Mais chaque rencontre est l’occasion d’en savoir un peu (un tout petit peu) plus sur les gens qu’on rencontre. Et si j’étais passé en voiture, à l’abri d’un habitacle climatisé, je n’aurais jamais eu tous ces contacts.
Donc l’envie du voyage est pour beaucoup liée aux rencontres qu’on peut faire
On pourrait formuler les choses autrement en disant que les rencontres faites durant un voyage compensent la distance qui nous sépare de la famille et des amis. Les contacts, souvent éphémères, que l’on noue à l’occasion de ces rencontres ont une intensité inversement proportionnelle à leur durée.
Je suis un animal social et j’aime ce contact, parfois fugace (un simple regard et un sourire) ou un peu plus long, qui donne le sentiment d’exister ou de ne pas être totalement seul dans un pays qu’on ne connaît pas et où personne ne nous connaît.
Aujourd’hui en feuilletant Facebook je suis tombé sur deux citations sur le voyage (Marc Zuckerberg doit bien me connaître pour insérer ce genre de contenu dans mon fil d’actualité…).
La première de Pierre Falardeau est un peu dure pour les gens qui ne voyagent pas…
Personne ne m’a reproché d’aller trop loin. On s’en est parfois inquiété ou étonné, mais critiqué jamais.
Au contraire nombreux sont ceux qui me disent que la lecture de mes petits comptes rendus leur permet de voyager, presque par procuration 😎
Quand je regarde « Rendez vous en terre inconnue » je voyage moi aussi par procuration, tranquillement assis dans mon fauteuil, donc l’un n’exclut pas l’autre.
D’ailleurs souvent les voyages des autres peuvent inspirer nos propres voyages. Il en a été ainsi pour ma traversée de la Sibérie, après avoir entendu Géraldine Dunbar parler de son trajet de Moscou à Vladivostok en Transsibérien.
Et pour le parcours que je viens d’effectuer de Nur-Sultan à Tashkent, j’ai calqué ma route sur celle de Fabrice et sa famille (chez qui je suis hébergé en ce moment à Tashkent) fin février.
L’inspiration du voyage naît souvent de voyages qui ont déjà été effectués… c’est comme ça 😎
L’autre citation est de Marcel Proust :
Dire qu’en changeant de regard on voyage, c’est certainement vrai (je ne vais quand même pas contredire Proust…), encore que ça ressemble à un voyage intérieur. A part Venise et Padoue, Marcel Proust n’a pas été un grand voyageur, et je sais qu’il a passé beaucoup de temps allongé dans son lit pour écrire À la recherche du temps perdu.
Cette phrase m’a interpelé car si je m’étais appelé Marcel Proust (au passage, Marcel est mon deuxième prénom) j’aurais écrit : « Le seul, le vrai, l’unique intérêt du voyage, c’est de changer de regard ».
Donc, son approche du voyage comme étant un changement de regard, lui correspond bien.
Mais en fait le voyage oblige ou permet de changer de regard sur ce qui nous entoure soit parce qu’on découvre de nouveaux lieux, de nouvelles mœurs, de nouvelles habitudes, soit parce qu’on voit autrement le milieu et les gens qu’on fréquente habituellement.
J’ai commencé à écrire cet article par une double question : d’où vient le goût du voyage ? Et « Quel est le goût du voyage ? »
En effet le voyage est principalement une affaire de perception d’un nouvel environnement par nos cinq sens.
Bien sûr par la vue, mais le goût, le toucher, l’ouïe et l’odorat participent également pleinement du voyage.
Quand on voyage, peut être plus en vélo ou à pied qu’en voiture ou en avion, on ressent avec acuité tout ce qui nous entoure
Bien sûr on commence par observer, les paysages, les reliefs, les nuages, la végétation, les animaux, les gens. La nouveauté qu’entraîne le voyage dans des lieux inconnus, crée une attention visuelle de tous les instants.
L’appareil photo va permettre de fixer certaines de ces images, mais quelques centaines de photos sont un bien faible échantillon de tout ce qu’on peut voir en voyageant
Les eaux boueuses d’une rivière, le signe de la main entr’aperçu derrière le pare brise d’un camion ou d’une voiture, les couleurs d’un lac comme le Balkhash, le sourire d’enfants sur le bord du chemin, le type ivre mort, allongé dans un abri bus un matin tôt… toutes ces images qui ne seront gravées que dans ma mémoire !
Il me faudrait le talent de dessinateur de mon ami du CPA, Patrick, pour remplir de mémoire des carnets de croquis. Hélas je n’ai pas ce talent, loin de là 🫣
Mais le voyage c’est aussi une affaire de goût. Le goût des mets qu’on découvre, le goût de la nourriture qu’on a emmené avec soi.
Le voyage que je viens de terminer aura plusieurs goûts : celui des biscuits avec des graines de tournesol, achetés à Karaganda. Biscuits que j’ai arrosés copieusement de Сгущенка (Skudchenka, le lait concentré sucré). Celui du thé, vert, noir, de Tashkent, avec ou sans sucre, avec ou sans lait : j’en ai ingurgité des litres, brûlants, froids, tièdes.
Le goût du mouton, en ragoût, en brochette, en kebab, celui des raviolis servis en soupe ou en accompagnement (farcis avec du mouton 😉). Le goût du poisson du lac Balkhash mangé dans un petit restaurant de routiers. Celui encore du bortch servi dans ce café perdu au milieu de nulle part. Les bananes achetées sur le bord de la route. Les « somsa » de Tashkent, farcis de purée depommes de terre ou de viande (de mouton) hachée.
Tous ces goûts resteront gravés dans ma mémoire et je ne pourrais vous les partager qu’avec des mots…
Pour les sons j’ai pu vous donner au moins un titre d’une playlist qui m’accompagne la plupart du temps quand je roule.
Mais le bruit des camions et des voitures qui varie selon le revêtement (ou l’absence de revêtement 😬) comment vous le transmettre ?
Celui des oiseaux qui sont nombreux et souvent magnifiques…
Au sujet des oiseaux, je n’ai pas voulu photographier les oiseaux écrasés au bord de la route – ça n’est pas un spectacle agréable – mais c’est une véritable hécatombe. Près de Nurkent je n’avais jamais vu de ma vie autant de corbeaux. J’étais accompagné par un concert de coassements et je me récitais mentalement le corbeau et le renard en argot « Un goupil pas mariole qui n’avait dans la fiole qu’un vent de clou comme béctance, se radine en loucedé et lui tient c’te jactance… ». A cet endroit des dizaines de corbeaux écrasés sur le bord de la route 🥵, dont un qui s’est fait écraser juste à ma hauteur et que j’ai vu agoniser, sur le dos, battant encore faiblement des ailes.
Ce massacre des oiseaux n’est pas propre au Kazakhstan, c’est exactement la même chose en France. Je suis toujours étonné quand j’entends critiquer les éoliennes comme source de danger pour les oiseaux : à mon avis les voitures et les camions font nettement pire.
Pour l’odorat il y a bien sûr des odeurs, nouvelles ou connues, qu’on ressent beaucoup plus en vélo car on est constamment à l’air libre.
Je n’en retiendrai qu’une : celle du lac Balkhash. Je ne pense pas que ce soit le lac lui même qui ait eu ce parfum doux et sucré qui m’a accompagné pendant près de 300 kilomètres, mais croyez moi c’était un délice. Un mélange subtil de fleurs et d’épices qui me parvenait quand un léger vent soufflait depuis le lac.
Peut être faut il venir à une période précise de l’année pour sentir une espèce de fleur qui ne pousse que peu de temps ? En tout cas j’ai eu la chance d’en respirer les effluves… Vive le voyage olfactif !
Pour le toucher, la première sensation qui me vient à l’esprit ce sont les vibrations des poignées du guidon dans les mains quand on passe dans des zones en terre avec cet effet « tôle ondulée » qui se forme avec plein de petites vagues sur la route où le chemin. Difficile de surfer sur ces vagues… peut être faudrait-il comme dans « le salaire de la peur » rouler à 80 ou 100 pour rester à la surface des vagues… en vélo ça semble impossible 😬. Les vibrations se transmettent des mains aux bras, des bras aux épaules, des épaules au cou, du cou à la tête, il faut serrer les dents pour éviter qu’elles ne s’entrechoquent.
Avec ce régime j’ai perdu la sensibilité au bout des doigts et cette sensation commence à peine à disparaître…
Le deuxième souvenir lié au toucher, ce sont les poignées de mains échangées avec ces inconnus rencontrés au fur et à mesure du voyage : parfois de simples checks avec des passants sur le trottoir qui tendent le bras, parfois de solides échanges de doigts (!) ou des salutations avec quatre mains qui se serrent doucement en signe de respect réciproque.
J’aurais pu chanter comme Sheila « Donne moi ta main et prends la mienne ! » mais qui se souvient de cette chanson…?
Voilà comment le voyage s’imprime dans notre mémoire : tous les sens y participent.
Les mots, les pauvres mots, avec lesquels je décris mon voyage peinent à vous rendre compte de toutes ces sensations, parfois violentes, parfois plus subtiles qui assaillent le voyageur sur son vélo 🤗
Avec un peu d’imagination, j’espère que vous y parviendrez 😊
C’est la dernière étape aujourd’hui : au programme une cinquantaine de kilomètres, un passage de frontière et donc la découverte d’un nouveau pays et sa capitale.
Au moment du départ, une photo souvenir avec Ulan :
Je traverse une ville de Kazygurt qui se réveille en ce dimanche matin :
Vous avez raison de penser qu’il n’y a pas un chat dans les rues. Mais par contre si vous regardez bien il y a un chamelon qui se promène tranquillement :
A Akzhar je réponds aux questions (posées en anglais) par Malek qui s’intéresse à mon voyage. Il s’étonne que je n’ai pas de drapeau français sur mon vélo. Je lui montre mon petit autocollant F sur mon garde-boue, mais ça n’a pas l’air de le convaincre 😊
Malek
Un peu plus loin, à Derbise, un Kazakh (costaud) m’offre une banane 😊
Puis c’est la frontière côté Kazakh
Rapidement je passe du côté Ouzbek :
Je m’éloigne de quelques centaines de mètres de la frontière pour me débarrasser d’une nuée de taxis qui veulent absolument m’embarquer, mon vélo et moi, jusqu’à Tashkent.
Quelques minutes de pause pour repérer la route et caler mon téléphone sur un relai Kazakh
A l’approche de Tashkent je suis épaté par une station service qui ne délivre que du gaz :
Et c’est l’arrivée en ville avec comme symbole sa tour de télévision :
J’emprunte de larges avenues sans trop de circulation :
J’arrive chez mes amis Fabrice et Valeria et leur fils Gaspar 🤩
Fabrice et Valeria viennent d’emménager dans cette maison très sympa d’un quartier tranquille de Tashkent
Fabrice m’emmène faire un tour au marché :
Fabrice choisit une pastèque
La vie semble douce et tranquille à Tashkent avec ses petites boutiques, ses boulangers…
Il y a bien sûr, comme dans toute grande ville, du trafic, de l’activité :
Tashkent est une ville moderne mais a conservé, en dépit de tremblements de terre comme en 1966, des édifices du XVIème siècle.
La ville a été complètement modernisée et c’est aujourd’hui la plus grande ville d’Asie centrale. Depuis Alexandre le Grand qui a pris la ville il y a 23 siècles, Tashkent a connu les vicissitudes des conquêtes, des périodes de prospérité, de déclin. Située sur la route de la soie c’est une plaque tournante commerçante et industrielle.
J’essaierai de vous la faire découvrir au fur et à mesure de mes visites 😎
Anne, depuis la France, m’a poussé à sortir des sentiers battus et à passer une journée campagnarde 😎
Je suis donc parti au petit jour (5H15) pour essayer de terminer assez tôt afin d’éviter les grosses chaleurs.
L’éternel chevalier Kazakh à la sortie de Shymkent… le jour se lève.
Quand on part tôt on profite d’une circulation très calme, de la fraîcheur du petit matin, de l’odeur des fours de boulanger qui finissent leur cuisson :
Le boulanger est sur la gauche du magasin et, en zoomant, vous devriez voir son vélo et ses pains bien dorés
Ce qui est bien également à cette heure matinale c’est que tous les chiens errants sont de sortie. En plus ils sont en forme et plutôt affamés.
Vous n’aurez pas de photos de ces quelques attaques : je ne peux pas tenir mon téléphone pour faire des photos, mon petit shocker électrique qui est supposé les effrayer et le guidon…
Enfin jusqu’à présent ils ont fini par abandonner la partie.
Mais le matin c’est vraiment leur heure de prédilection…
Un peu avant six heures je passe devant une raffinerie de pétrole ou un complexe industriel :
C’est beau une usine de bon matin…
J’avance à petite vitesse. En passant, une yourte qui est plus à caractère publicitaire qu’habitation :
Un petit cours de Russe :
Salons pour banquet ou salle de basket ?
La route progresse dans une campagne très verdoyante en suivant le cours d’une rivière dont le lit montre qu’elle doit avoir des périodes de crue assez importantes.
La rivière Badam à Sayram
A l’entrée de Pervomoyeka un sculpteur a immortalisé un chamois et un bouquetin :
À droite du chamois la lune résiste à la lumière du jour
Je passe un pont au dessus de la rivière Badam :
Traverser la rivière veut dire qu’on quitte la vallée… et donc que la route risque de monter 😬.
Je fais une pause « banane » en prévision des efforts à venir…
En traversant le village d’Algabas une famille qui cueille des cerises s’intéresse à mon vélo et nous faisons une séance photo :
Ensuite j’attaque la montée qui est bordée d’arbres et domine de vastes pâturages. Je croise des camions chargés de foin :
La trajectoire étant incertaine il vaut mieux se mettre prudemment sur le côté !
Un automobiliste qui arrive en sens inverse s’arrête pour m’encourager… je vais comprendre pourquoi dans pas très longtemps !
Mes cueilleurs de cerises me rejoignent en voiture : ils m’apportent un litre de lait de chèvre pour reconstituer mes forces et me proposent de me tracter jusqu’en haut. Quelle honte ! Je refuse poliment 😎. Je vais m’en mordre les rayons 😵💫.
En effet ça commence à monter sérieusement… Un berger me regarde de loin (et de haut) peiner. Je finis par mettre pied à terre et je termine en poussant le vélo 🥵
Passage en haut du col à 1275 mètres d’altitude.
Heureusement de l’autre côté j’ai le bénéfice de la montée par une belle descente.
J’arrive à Zhanatalap avec son magasin bien achalandé :
Une belle montée vers Kokibel puis la route file vers Zhangabazar :
J’arrive devant « le » magasin de la zone. Je n’ai pas le temps de descendre du vélo que Talgat vient m’offrir une bouteille de Coca.
Tous les passants sont mis au courant de mon trajet. Talgat veut me payer un repas dans le restaurant voisin… il ne faut pas abuser quand même : je ne vais pas sans arrêt me faire inviter ! Et ce d’autant moins que le dit restaurant est fermé pour cause de préparation de réception.
Grâce à de nouveaux supporters, je réussis à négocier une assiette de pilminis. Ça suffit pour calmer ma faim.
Et grâce à eux je trouve aussi une petite place pour me reposer à l’arrière d’une des salles du restaurant :
Derrière le rideau une petite salle de repos…dont je vais profiter pendant près de trois heures.
Il est temps de repartir pour atteindre mon étape : encore vingt et quelques kilomètres avant d’arriver.
Quand je suis à destination, le problème de trouver un endroit pour dormir se pose. Et visiblement à Karatas ça se présente plutôt mal. Après plusieurs demandes infructueuses on me conseille d’aller à Kazygurt, la grande ville voisine où il y aurait un hôtel.
Retour sur le vélo pour quinze kilomètres supplémentaires…
Je les avale rapidement et arrivé à Kazygurt je recommence mes demandes. Devant un magasin à l’entrée de la ville on m’affirme qu’il n’y a pas d’hôtel à Kazygurt…
Un client sort une bouteille de vodka à la main, l’air passablement éméché, et me propose de m’héberger (moyennant finances)… évidemment ça serait un très mauvais plan.
J’avance vers le centre ville et je m’arrête devant une grande salle de réception :
A l’intérieur personne pour me renseigner. A l’extérieur deux personnes me confirment qu’il n’y a pas d’hôtel à Kazygurt. Néanmoins ils me conseillent de retourner à l’entrée de la ville et de demander à la Clinique Omed s’ils ne pourraient pas me loger.
Pourquoi pas…
Je retourne vers l’entrée de Kazygurt.
Je trouve cette clinique qui jouxte une pharmacie.
A l’intérieur de la clinique un jeune homme semble assurer la permanence de l’accueil.
Il a l’air étonné quand je lui dis que je viens chercher un hébergement…
Cependant Ulan (c’est son nom) semble prêt à chercher une solution pour que je puisse m’installer dans la clinique.
Il ouvre la porte d’un petit bureau qui sert de salle d’examen. Il me demande si cela me conviendrait d’y dormir… Bien entendu c’est parfait pour un cycliste.
Affaires posées je vais acheter de quoi me préparer un repas.
De retour à la clinique, Ulan m’attend tout excité et il me propose de m’emmener manger un repas traditionnel Kazakh.
Nous voilà en route
Et Ulan me conduit dans un restaurant où on nous sert un Beshbarmak (viande de cheval et pâtes) :
Retour à la clinique 😎 après ce copieux repas… il est temps de dormir un peu dans ma salle de soins improvisée « chambre d’hôtel »
Journée Shymkent… je ne vais pas en retenir grand chose.
Départ pour le musée en taxi. Le chauffeur est tout content : je suis son « premier français » et ça l’épaté. Pourtant il a déjà été en Pologne et en Allemagne, donc il a vu du pays selon l’expression consacrée.
Quelques photos sur la route :
Immeubles d’habitation colorés Au zoo de Shymkent une réplique du rocher du zoo de Vincennes(panthère et bouquetin)Centre commercial et cinema multiplex
Au musée, pas d’audio guide et pas de guide… mais un employé va vite me rejoindre et me donnera, en Kazakh, quelques explications auxquelles je n’ai pas compris grand chose.
Le musée comporte 4 salles dédiées à l’histoire de la région.
On y voit l’ancienneté de la présence humaine :
Un tandem de Pekin-Express qui n’a pas trouvé d’hébergement…
L’arche de Noé s’est aussi posée ici :
Des tombeaux pré-historiques :
Pour arriver à une époque plus récente et un habitat des steppes bien connu, la yourte :
Yourte est le nom russe. Au Kazakhstan on appelle ça une Kizz (si j’ai bien compris). En Mongolie c’est une « Ger ».
L’intérieur de cette kizz de chef est confortable :
Mon « guide » a bien insisté sur le fait que le pouf au centre est l’emplacement d’un brasero dont la fumée s’évacue par un orifice au sommet du Kizz.
Ensuite c’est moi qui suis devenu l’attraction du musée… Une employée du musée s’est mise à me photographier sous toutes les coutures, a voulu savoir ce que je faisais au Kazakhstan. Mon trajet en vélo l’a survoltée et elle a absolument voulu que j’envoie sur Whatsapp des photos de vélo.
En échange j’ai reçu quelques unes des photos qu’elle a prises :
Au premier plan mon guide improvisé qui, vous le voyez, me mène « à la baguette »
Peut-être les photos de mon vélo (avec votre serviteur à ses côtés) seront-elles bientôt dans une vitrine du musée… qui sait ?
Pour le reste la visite était un peu décevante, je dois le reconnaître, malgré la gentillesse de mon accompagnateur.
Retour au centre ville avec un chauffeur de taxi qui m’a appris en route (je m’en étais aperçu) que son surnom était « Taxi Schumacher » 😬
Puis déjeuner dans un restaurant turc dont le nom était… « Istanbul » , vous l’auriez deviné 😉 (patisseries délicieuses).
Retour à l’hôtel pour lessive, rangement, préparation de l’itinéraire de demain et… blog !
Une promenade de santé mais des petites grimpettes quand même…
On pourrait presque dire que c’est un trajet sans histoire… mais quand il n’y a pas d’histoire, on s’en raconte de façon totalement involontaire.
C’est souvent le propre des activités répétitives ne demandant pas une très grande concentration : l’esprit vagabonde.
Et quand on est justement en train de vagabonder sur des chemins de traverse, l’esprit s’échappe puissance deux !
Donc ce matin, six heures trente je descends prendre mon petit déjeuner frugal avant de monter sur le vélo.
L’administratora à qui j’avais donné un œuf hier pour le cuire me l’amène prêt à l’emploi avec une petite coupelle de sel.
Elle a ouvert la porte de la lingerie où mon vélo était enfermé.
C’est la perfection cette administratora !
Avant de partir la traditionnelle photo souvenir avec elle :
Hôtel Karima : à recommander !
Il fait très beau et, a six heures quarante cinq, la température est idéale.
Un bâtiment qui pourrait bien être la Mairie :
Sur près de dix kilomètres je traverse un très grand village-rue :
Ça roule vraiment bien ce matin, j’ai des ailes… mais pas pour grimper à toute allure les petits raidillons qui finissent par arriver :
Mon GPS Garmin ne créditera pas cette montée de plus de 7%…
Comme presque chaque matin j’ai écouté en boucle la chanson de Gaël Faye « Tôt le matin ». Cette chanson m’inspire et me colle à la peau. Je vous en copierai les paroles à la fin de cet article.
En haut de la dernière « vraie » montée un monument m’attend pour une petite pause :
Je n’ai pas photographié les bancs qui entouraient cette stèle… rudement bienvenus !
Je n’ai pas photographié non plus (c’était en plein effort de montée) ce troupeau de moutons qui a envahi la voie opposée (donc en pleine descente) provoquant l’arrêt en panique de dizaines de voitures et camions.
Je trouve ça rassurant car s’ils font tant attention à ne pas écraser de moutons (alors que je sais maintenant le sort qu’on leur réserve quand j’arrive à l’improviste dans une famille) je me dis qu’un cycliste français méritera autant de prévenance de leur part 😉
Je quitte l’autoroute A2 pour une route qui traverse toute une série de villes-villages. Je pensais être un peu plus tranquille mais les automobiles se multiplient comme des petits pains et c’est comme la rue de Rivoli en Vélib… il faut slalomer entre bus et voitures.
Je trouve un long trottoir qui me sert de piste cyclable et, profitant d’un peu d’ombre, je fais une dernière pause avant d’arriver à Shymkent :
Dernière pas tout à fait car une abeille ou une guêpe qui s’est fait coincer dans mon casque me pique sur le crâne. Sous l’effet de la surprise je m’arrête en catastrophe. Je ne trouve pas la coupable mais la douleur, si elle est intense, est très brève.
Donc arrivée à Shymkent, sa statue du chevalier inconnu :
Batyr d’Akpan (c’est du Kazakh)
Et à onze heures trente j’arrive dans mon petit hôtel communeautaire où nous sommes deux dans une chambre de six.
Donc un trajet plutôt rapide (pour moi) en évitant de justesse la chaleur qui se renforce nettement à partir de midi.
Après la douche et un déjeuner dans un restaurant-café du quartier, je vais faire un tour au bazar (je cherche une pièce à ajouter à la collection de couvres-chef de mon ami Jean-Louis).
C’est un vrai bazar : chaussures, jeans, sous-vêtements, robes d’apparat, casquettes, jouets, gadgets électroniques..,
Et bien sûr des fruits, des légumes, de la viande, du miel…
Emplettes terminées je rentre alors que le thermomètre se met à l’unisson de la canicule en France : il fait 36° cet après-midi.
Dans une ville de plus d’un million d’habitants comme Shymkent, avec un gros traffic de voitures, de camions et de bus, on a un peu l’impression de manquer d’air.
Shymkent comptait 160.000 habitants en 1959, 640.000 en 2012 et donc plus d’un million en 2020.
Sauf erreur depuis 1959 ça fait une augmentation annuelle moyenne de 3%
Au lieu de vous faire des calculs arithmétiques je ferais mieux de revenir un peu en arrière, à Taraz pour un point d’histoire que, personnellement, j’ignorais.
En 751 a eu lieu à Taraz une bataille importante entre les Chinois et les Arabes.
Les troupes de la dynastie Tang cherchaient à conquérir une partie de l’Asie Centrale.
La bataille de Taraz a eu lieu au bord de la rivière Talas, dans une zone qui est actuellement en territoire Kirghiz.
Les Chinois ont perdu cette bataille et les historiens pensent que c’est à cette occasion que le secret, jalousement gardé par les Chinois, de la fabrication du papier a été transmis aux Arabes qui ont dû un peu moins verrouiller le brevet puisque les Européens en ont hérité ensuite.
Donc le papier journal, celui des livres nous vient des conséquences de cette bataille livrée aux confins du Kazakhstan actuel.
Demain je vous parlerai un peu plus de Shymkent puisque je vais y passer la journée (musée, reportage photo…).
En attendant je vous livre le texte de Gaël Faye « Tôt le matin ». Cette chanson m’accompagne lors de chaque début d’étape.
Les mots de Gaël Faye donnent envie d’aller voir ailleurs. C’est un peu ce que je fais et quand il évoque d’immenses lacs émeraudes au bord desquels on ouvre de grands yeux clairs, alors qu’on pédale le long du lac Balkhash, forcément on se sent en osmose avec lui.
Si vous ne connaissez pas Gaël Faye vous pouvez le découvrir, en dehors de ses chansons, par son livre « Petit Pays » (prix Goncourt des lycéens) où il évoque son enfance au Rwanda.
Tôt le matin
Respire les effluves, les parfums d'Orient Sous l'étuve les fumées d'encens Brûle tes poumons dans les torpeurs enivrantes Hume les fleurs, leurs senteurs navrantes Laisse loin la rumeur des villes Si ta vie est tracée : Dévie! Prends des routes incertaines, trouve des soleils nouveaux Enfile des semelles de vent, deviens voleur de feu Défie Dieu comme un fou, refais surface loin des foules Affine forces et faiblesses, fais de ta vie un poème Sois ouragan entre rebelles, houngan! Empereur de brigands, Mackandal, Bois-Caiman Écris des récits où te cogner à des récifs Une feuille blanche est encore vierge pour accueillir tes hérésies Lis entre les vies, écris la vie entre les lignes Fuis l'ennui des villes livides si ton cœur lui aussi s'abîme Un jour, un jour, un jour j'me barre, hasta la vista Je reste pas sur place, j'attends pas le visa J'vais parcourir l'espace, pas rester planté là Attendant que j'trépasse et parte vers l'au-delà Mourir sous les étoiles, pas dans de petits draps J'vais soulever des montagnes avec mes petits bras Traverser des campagnes, des patelins, des trous à rats M'échapper de ce bagne, trouver un sens à tout ça J'vais rallumer la flamme, recommencer I'combat Affûter ma lame pour replonger en moi Un fantôme se pavane dans son anonymat Rêve d'un pays d'Cocagne où l'on m'attendrait la-bas Car dans la ville je meurs à nager dans des yeux Des regards transparents qui me noient à petit feu La zone est de mépris, la vague est d'indifférence La foule est un zombie et je vogue à contresens Entendre le son des vagues lorsqu'elles s'agrippent à la terre ferme Cultiver le silence, tout est calme, plus rien n'interfère Rechercher la lumière, un jour peut-être trouver la clarté En nous le bout du monde, faire de son cœur une île à peupler Ouvrir de grands yeux clairs au bord d'immenses lacs émeraudes Se laisser émouvoir tôt le matin quand pousse l'aube Aux premières heures du jour tout est possible Si l'on veut reprendre dès le début, redéfinir la règle du jeu Briser les chaines, fissurer la dalle Inventer la lune, que tous la voient Devenir vent de nuit, pousser la voile Et s'enfuir vers des rives là-bas
J’aurais pu mettre comme titre « Une journée sans histoire » afin de vous préparer à une lecture sans grand intérêt.
C’est vrai que sur le plan cycliste il ne s’est pas passé grand chose : l’étape d’aujourd’hui devait être relativement courte, mais comme j’avais (un peu) allongé celle d’hier, le parcours de ce matin n’avait rien de bien extraordinaire :
41,3 km, 2H1mn… bonne moyenne (pour moi 🤣)
En regardant la carte on voit assez nettement un changement dans le relief : à Shapkak Babila on est à près de 1150 mètres d’altitude pour descendre à 800 mètres à Turar-Rysqulov.
Donc peu de kilomètres, peu de pluie (et oui il a plu un peu sur la route ce matin), une ou deux rencontres (un routier en panne qui pensait peut-être que j’allais le remorquer… et un turc qui a voulu faire des selfies et qui voulait que je mette mon vélo sur le plateau de son camion).
Avant le départ une photo avec Aizhan et son mari Zhasulan :
La maman Seisekul, m’avait préparé un petit-déjeuner avant sûr je prenne la route… merci à cette famille ! Le petit dernier, Danial, pas encore bien réveillé, boit aussi un thé :
Une photo du chevalier Kazakh (dont je n’ai pas pu avoir le nom) à l’extrémité d’un parc pour enfants :
Et l’arc de Triomphe recto verso :
Dans le sens de la sortie Dans le sens de l’entrée
Sur la gauche de la route toujours des sommets enneigés :
Enneigés et ennuagés
Un petit autoportrait en passant :
C’est à ce moment que la pluie s’est mise à tomber…
Puis la photo prise par le chauffeur turque :
Un monument pour le Turkestan…?
Et l’arrivée à Turar-Rysqulov et son arc de rigueur :
Une étape terminée mais vous n’en avez pas pour votre argent aujourd’hui… il va falloir que je « tire à la ligne » pour que vous restiez encore un peu.
Donc je vais terminer cette article par des « Conseils au voyageur » si jamais il vous prend l’envie de venir au Kazakhstan (ou en Russie, c’est à peu près la même chose).
Tout d’abord : munissez-vous de sandales à semelle plastique isolante.
En effet toutes les salles de bain sont pourvues de prises de courant situées le plus près possible des robinets. Vous pouvez, d’une seule main, mettre les doigts dans la prise et sous l’eau.
Voici deux exemples (parmi d’autres) sur cette conception que j’appelle « à la Claude François » :
Dans cette salle de bain d’hôtel c’est le téléviseur qui est branché sur la prise à côté du lavabo Ici c’est dans la douche que vous pourriez brancher votre micro onde.
Cette dernière photo amène immédiatement au second conseil : comment prendre sa douche.
Il faut savoir une première chose avant de prendre sa douche : au Kazakhstan, comme en Russie, l’eau chaude sanitaire est chaude, très trèschaude. Il y a certainement des services des grands brûlés qui n’ont pas grand chose à faire et qui donnent des instructions aux plombiers-chauffagistes pour qu’ils règlent la température de l’ECS (l’eau chaude sanitaire) à quelque chose qui doit ressembler à la température de vaporisation de l’eau.
Donc il faut être prudent et ce avec d’autant plus de vigilance que les robinets mitigeurs qui équipent la plupart des douches reçoivent l’eau chaude une fois sur deux par la canalisation de droite (même s’il est indiqué que l’eau chaude s’obtient vers la gauche du mitigeur).
Donc, quand on prend sa douche, on met le mitigeur au milieu et on ouvre l’eau. L’eau qui coule est normalement froide au début. On place la main de chaque côté du mitigeur pour voir de quel côté l’eau chaude arrive et on commence à régler le mélange eau chaude / eau froide.
Et on retient bien de quel côté il faut pousser le mitigeur pour avoir de l’eau froide. Si brutalement l’eau devient trop chaude et que par réflexe ou habitude vous poussez vers la droite pour avoir plus d’eau froide, là vous allez avoir un sérieux problème si le robinet est monté à l’envers… Surtout si vous avez coincé la pomme de douche entre vos jambes pour vous savonner le visage comme il m’arrive de le faire.
Exemple de robinet mitigeur qui indique que l’eau chaude est à gauche alors qu’en fait elle est à droite…
Une fois prévenus contres les électrocutions et les risques de brûlures dans les salles de bain, mon dernier conseil de la journée est une mise en garde sur les escaliers.
J’avais déjà signalé ce danger il y a quatre ans en Russie, mais on le retrouve à l’identique dans quasiment tous les escaliers Kazakhs.
Ces escaliers sont conçus avec habileté pour que vous tombiez quasiment à coup sûr.
En effet, dans une même volée de marches, vous aurez des marches de hauteur très différentes :
On voit bien que la deuxième marche en descendant est nettement plus haute que la première…
J’avais déjà constaté et rapporté ce problème il y a quatre ans mais cette fois-ci je reviens avec des donnés chiffrées grâce à l’application « Mesures » de mon téléphone portable (encore une fois je n’indique pas la marque qui, elle aussi, n’a pas daigné me sponsoriser).
Donc sur ces quelques marches la plus haute mesure 28 cm, la plus petite 16 cm, les autres étant à peu près toutes de 20 cm.
L’effet est saisissant quand on ne s’y attend pas et qu’on ne tient pas la rampe (quand il y en a une).
Amenez ici une personne un tant soit peu âgé (comme c’est mon cas) et dites lui que prendre l’escalier c’est bon pour le cœur, vous avez de bonnes chances de réduire pour elle ou pour lui ce que Sylvain Tesson appelle le parvis de la mort…
Sur ces bons conseils je vous dis à demain (si tout va bien 🤞) 🤩