
Dans une de ses chansons, Gaël Faye dit à propos de Paris : « On n’écrit pas de poème pour une ville qui en est un ».
C’est un peu la même chose pour Khiva : difficile d’écrire un article sur Khiva, tant cette petite ville recèle de trésors.
L’histoire de Khiva
Située sur le cours inférieur de l’Amour-Daria, fleuve qui se jette (ou plutôt, se jetait) dans la mer d’Aral, Khiva a connu une histoire tumultueuse, alternant entre indépendance et tutelle de puissances extérieures.
Avant son rattachement à l’empire Perse au VIème-Vème siècle avant JC, Khiva était citée dans le livre sacré des Zoroastriens « Avesto », sous le nom de Kharizam. C’est donc une cité pluri millénaires.
Devenue une des satrapies de l’empire perse, la région de Khorezm obtient son indépendance vers le IVème siècle av. JC. C’est à cette époque qu’apparaît l’écriture khorezmienne.
Lors de sa conquête de l’Asie centrale par Alexandre le Grand, des sources grecques citent la signature d’un traité de paix avec le roi de Khorezm.
À partit du premier siècle de notre ère une nouvelle dynastie, les Afriguides, arrive au pouvoir et le restera jusqu’au Xème siècle.
Après la conquête arabe du VIIIème siècle, le royaume de Khorezm devient partie intégrante du khalifat et du monde musulman.
Au XIIIème siècle ce sont les invasions mongoles qui détruisent le royaume, avant qu’il ne se redresse à l’époque de Tamerlan et s’intègre à l’empire timouride (XIVème-XVème siècle).
La région devient une entité à part au XVIème siècle, sous le pouvoir des khans tchingisides.
Suite à une modification du delta de l’Amour-Daria, Khiva devient la capitale du khanat.
En 1870 la Russie a établi le protectorat sur le khanat de Khiva. En 1920, le khan de Khiva a été destitué, et en 1924, son territoire a été intégré à l’Ouzbékistan.
La ville de Khiva
La cité historique de Khiva est insérée dans une enceinte fortifiée rectangulaire de 650 mètres sur 400. Sur ces 26 hectares, Itchan-Kala (la citadelle intérieure) regroupe la Cité médiévale.
Le mur en pisé d’une longueur de 2200 mètres et d’une hauteur entre 7 et 8 mètres est renforcé par des tours :

Au milieu de chacun de ces murs, se situe une porte (darvaza). La porte d’ouest Ata-darvaza est près de Kunia-Ark, la porte du nord Bakhtcha-darvaza donne sur la route d’Ourgentch, celle de l’est, Palvan-darvaza, mène vers Hazarasp et le fleuve Amour-daria, celle du sud, appelée Tosh-Darvaza, mène vers Kara-koum. Les grandes routes « nord-sud » et « l’ouest-est » joignent les portes et divisent l’Itchan-Kala en quatre parties.

(Le Nord est à gauche sur ce plan)

Itchan Kala, centre historique de Khiva, est inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Plus de soixante monuments d’architecture s’y trouvent, dont les palais des khans, des mosquées, des médersas, des minarets et des mausolées.
Nous allons commencer la visite par la Madrassah Amin Khan et le minaret tronqué qui la jouxte.
Madrassah Amin Khan et Kalta-Minor
En face de Kunia-Ark, près d’Ata-Darvaza, il y a la plus grande médersa de Khiva, qui porte le nom de Muhammad Amin-khan (1845-1855). C’était le khan le plus belliqueux dans l’histoire de Khiva, avec une armée plus de 40 000 cavaliers. En conquérant les terres des Turkmènes, il a élargi et affermi les frontières du khanat de Khiva. Il est mort à la suite d’une contre-attaque hardie des combattants turkmènes, contre son camp militaire. Décapité, sa tête a été envoyée au chah de Perse, qui a ordonné de l’enterrer avec les honneurs. Malgré sa courte vie, Muhammad Amin a eu le temps d’accomplir son devoir de khan et de construire une nouvelle médersa à Khiva. Le portail, couronné par 5 coupoles et flanqué des tours, comporte l’inscription suivante : « Cette magnifique construction restera éternellement pour la plus grande joie de nos descendants ». Elle mesure 78 m sur 60 m et elle est dotée de 125 cellules, pouvant accueillir jusqu’à 260 élèves. Près de la médersa Muhammad Amin-khan, est situé le minaret inachevé Kalta-minor (Minaret court), il est entièrement couvert de carreaux glaçurés de couleurs variées. Le diamètre de la base est 14,2 m et Kalta-Minor était destiné à devenir le plus haut minaret de l’Asie Centrale. A juger par ses proportions, sa hauteur aurait dû dépasser 80 m. La construction du minaret a commencé environ en 1855, mais s’est arrêtée une fois une hauteur de 26 m atteinte, à cause des révoltes et de la guerre civile au khanat, après la mort de Muhammad Amin-khan.

Une légende présente une version plus triviale : le khan de Boukhara, ayant appris la construction d’un minaret grandiose à Khiva, s’est mis d’accord avec l’architecte pour que celui-ci construise un ouvrage encore plus grandiose à Boukhara. Ayant appris ce projet, le khan de Khiva, furieux, a ordonné de jeter l’architecte du haut de son minaret. Les travaux de construction ont donc été arrêtés.
Une autre légende, plus romantique celle-là, explique l’arrêt de la construction par le fait que les ouvriers pouvaient voir la cour du palais depuis le minaret en travaux et qu’en poursuivant leur travail ils allaient avoir une vue plongeante sur le harem du khan…
Aujourd’hui ce sont les touristes qui profitent de la reconversion en hôtel de luxe de cette ancienne médersa…

MEDERSA KHURDJUM ET CELLE DE ALLAH-KULI-KHAN
La première médersa construite près de la porte Pavlan-Darvaza de l’Itchan-Kala était la médersa Khodjamberdy-biy, datant de 1688. Un siècle et demi plus tard, le khan Alla-Kuli-khan a choisi cette place pour la construction de la nouvelle médersa de Khiva. La place était étroite et pour la construction de la médersa, Alla-Kuli-khan a été obligé de détruire une partie du rempart d’itchan-Kala. Le bâtiment de la vieille médersa Khodjamberdy-biy a subi une reconstruction radicale. En raison de la différence entre les niveaux, elle a servi de plate-forme pour la médersa d’Alla-Kuli-khan. La montée, en forme du toboggan, a divisé la médersa Khodjamberdy-biy en deux parties, d’où son surnom -médersa Hurdium (« sac de voyage »). La nouvelle médersa d’Alla-Kuli-khan a assuré des revenus importants au khan. Il a reçu comme wakf (don), 1 000 ha des terres irriguées, ainsi que le tim voisin au nord (le passage commercial) et le caravan-sérail d’Alla-Kuli Khan. Au sud du portail de la médersa se trouve la mosquée, au nord la salle de cours, dans quelques cellules était installée la bibliothèque, fondée par Alla-Kul-khan, ouverte pour tous élèves de toutes les médersas de Khiva.


La moquée DIUMA-MASJID
La mosquée du vendredi, Djuma-masjid est située au centre d’Itchan-Kala, sur le chemin, menant de Palvan-darvaza vers Ata-darvaza. Djuma-masjid est construite au XVIIIème siècle, mais reproduit un très ancien style de grande mosquée, dotée de toit plat, reposant sur des colonnes en bois. Une structure similaire était utilisée pour les anciennes mosquées arabes, aux VIIème-VIlIème siècles. La charge principale, pour créer la géométrie remarquable de l’intérieur de Djuma-masjid, est portée par 212 colonnes sculptées.

La plupart de ces colonnes datent du XVIIIème-XIXèmesiècles. D’autres proviennent des bâtiments médiévaux détruits.

Les plus anciennes de ces colonnes, pouvaient provenir de la ville de Kiyat, ancienne capitale du Khorezm, engloutie par l’Amou-daria.

Vingt et une colonnes de Djuma-masjid datent au XIème siècle et possèdent des inscriptions coufiques, 4 autres colonnes possèdent des inscriptions en écriture naskh.

Les colonnes plus récentes du XVIllème et du XIXème siècles sont reconnaissables grâce aux motifs floraux et végétaux. Au mur du nord de la mosquée, il y a un minaret dont le diamètre de la base est de 6,2 m et la hauteur 32,5 m.
KUNYA-ARK
Kunya-Ark, ce qui veut dire « Citadelle ancienne », est la citadelle interne de l’Itchan-Kala, et occupe une superficie de 1,2 ha. Elle a été construite seulement à la fin du XVIIème siècle sous le khan de Khiva, Muhammed-Erenek (1687-1688), quand il est apparue nécessaire d’assoir le pouvoir du khan. Un siècle plus tard, Kunya-Ark est devenu une « ville dans la ville », séparée d’Itchan-Kala par un mur. Il y avait la mosquée du khan, sa résidence, la Cour suprême, la salle de réception (kurinysh-hona), l’usine de poudre, l’arsenal, la cour de monnaies, la chancellerie, le harem, la cuisine, l’étable, le corps de garde, etc.
En entrant par la porte principale, on voit une vaste cour ouverte qui fait l’objet de fouilles archéologiques.
Du côté de l’ouest se trouve la salle de réception (kurinysh-hona). Les bâtiments sont de l’époque du règne d’Iltuzar-khan (1804-1806). Le palais dispose de plusieurs pièces pour les audiences.

Dans la partie du nord, il y a une cour avec une yourte, dans laquelle le khan de Khiva trônait lors des réceptions. Au coin nord-ouest de kurinysh-hona, il y avait une sortie vers un couloir menant vers la partie du nord de Kunia-Ark.
C’est ici que se trouve la mosquée du khan, la cour de la monnaie, ainsi que le harem et la tour d’Ak-Cheik-bobo. C’est l’endroit le plus élevé de Kunia-Ark, utilisé comme poste d’observation de la citadelle.

La cour de monnaie se trouve en face de l’entrée dans la partie du nord de Kunia-Ark. Elle a été ouverte assez tard, au sein de Kunia-Ark, durant le règne de Muhammed-Rahim-khan l (1806-1825). Il a réalisé une réforme fiscale dans son khanat, créé une douane et a commencé à frapper les pièces d’or.

Vous noterez que tous les artisans employés dans l’atelier des monnaies ont une barbe taillée très court : un jour le vizir charge de la surveillance de cet atelier s’est aperçu que des pièces d’or sortaient de l’atelier, dissimulées dans les barbes (de là l’expression « disparaitre au nez et à la barbe » ?)
À côté de la cour de monnaie, se trouve la mosquée du khan, érigée sous le khan Alla-Kuli (1825-1842), l’héritier de Muhammed-Rahim-khan Ier. Au pied de la tour Ak-Cheik-bobo, se trouve le harem du khan (celui qu’on risquait de dominer si le minaret Kalta-Minor avait été achevé) et des bâtiments d’habitation. Ces bâtiments furent construits tardivement par ordre de Muhammed-Rahim-khan II.
Tash-Khaouli
Entre 1830 et 1840, par la volonté d’Alla-Kuli-khan, le centre de l’état, ainsi que le centre de la vie sociale et commerciale de Khiva, se sont déplacés vers la partie est de l’Itchan-Kala, près de Palvan-darvaza, où fut érigé un ensemble, portant le nom de son fondateur, Alla-Kuli-khan, dont une nouvellle médersa, un caravansérail et un tim. En même temps, Alla-Kuli a ordonné d’ériger un nouveau palais, appelé Tash-Khaouli (littéralement « la cour en pierre »).
Ce palais ressemble ressemble à une petite citadelle avec de hauts murs, couronnés de créneaux, des tourelles et dotés des portes fortifiées. Il a également une structure traditionnelle des maisons et des résidences rurales (khaouli) avec des cours fermées, les aïwans ombragés avec colonnes et terrasses.

Le khan a exigé des architectes que cette construction soit réalisé très rapidement ; quand l’architecte Nur-Muhammad Ousto Tadji-khan a refusé de finir la construction du palais en deux ans, Alla-Kuli-khan l’a fait empaler. Après quoi, un autre architecte Ousto Kalandar Khivaki, a construit le palais en neuf ans (comme quoi ça n’était pas vraiment utile de changer d’architecte…)
Tash-Khaouli est composé de trois parties, regroupées autour des cours intérieures. Dans la partie du nord est situé l’habitation du khan et le harem.





Au sud-est, il y a une salle d’apparat, Ishrat-khaouli. Au sud-ouest, il y a la salle de réception destinée pour les débats judiciaires, appelée arzkhana.

Au centre d’Ishrat-khaouli est située une terrasse ronde surélevée, sur laquelle était installée la yourte en feutre pour le khan, destinée à l’accueil des visiteurs de haut rang.


Les cours sont reliées par un labyrinthe de couloirs et de pièces (afin de rendre plus difficile une attaque).
La particularité de la décoration de Tach-Khaouli, ce sont les carreaux de majoliques, les peintures en arabesques des plafonds , les colonnes et portes sculptées. Une partie des ornements végétaux en majolique est une cartouche épigraphique, dans laquelle il y a le nom de l’architecte Abdulla « Djin ».

Ensemble commemoratif de Pakhlavan-Makhmoud
L’ensemble de Pahlavan-Makhmoud est le centre cultuel principal d’Itchan-Kala. Il s’est formé sur la tombe du saint-protecteur de Khiva, Pahlavan-Mahmud (1247-1326), qui a vécu dans les années compliquées, sous la domination mongole en Asie Centrale. Il est connu comme un lutteur professionnel et poète-philosophe. Ses victoires l’ont rendu célèbre jusqu’à l’Inde et la Perse.
Pakhlavan-Makhmoud était professeur soufi du haut rang, en plus il était pelletier. Il est mort à l’âge de 80 ans environ à Khiva. A l’endroit où il est enterré s’est formé un cimetière au XIV-XVII siècle. La particularité de la doctrine de Pakhlavan-Makhmoud était l’éducation de la volonté des disciples par la lutte. La tombe de Pakhlavan-Makhmoud se trouve derrière l’enceinte peu élevée au nord ouest. Le bâtiment initial du mausolée a été reconstruit en 1810, par Muhammad-Rahim-khan I (1806-1825), le nouveau mausolée comprenait l’ancienne sépulture et une khanaka à double coupole élancée, dont la silhouette est l’un des symboles de Khiva.
A l’entrée du mausolée, une cour de commemoration a été aménagée et les portes de l’ancien cimetière sont devenues le portail d’entrée.

Sur l’ordre de Asfendiyar-khan (1910-1918), fils de Feruz-chah, dans la partie de l’ouest de la cour, a été érigée une salle d’isolement pour les lecteurs du Coran, à deux étages et une mosquée d’été en forme d’aïwan, dans la partie de l’est de la cour.

Dans les trois cellules inférieures, sont enterré la mère de Asfendiyar Kutlugbiki-khanoum et deux membres de la famille du khan, les lecteurs du Coran vivaient dans les autres. Après sa mort, Muhammad-Rahim I, était enterré dans la khanaka, construite par lui-même, près du mausolée de Pakhlavan-Makhmoud.

Ainsi était fondé la nécropole des khans de Khiva. Dans la khanaka, devenue le mausolée du khan, a été transféré le tombeau en marbre du khan-historien Abu-I-Gazi (1603-1664) et celui de son fils d’Anush-khan. Ensuite, a été construite l’aile de l’est, dans laquelle est enterré Alla-Kuli-khan (1825-1842). Un autre khan de Khiva, Asfendiyar, a arrangé de son vivant une grande sépulture familiale, dans la salle à l’entée du memorial, mais il n’y a pas été enterré, parce qu’il est mort hors des remparts de la ville, et d’après la tradition, le corps du défunt ne pouvait pas traverser la muraille.
Flâner dans Khiva
Se promener dans Khiva c’est trouver à chaque intersection de ruelles des batiments magnifiques, des sculptures qui retracent la vie locale, découvrir l’artisanat de la région de Khorezm.

Comme vous pouvez le voir il n’y a aucun fil électrique ou de téléphone, aucune antenne de télévision ou parabole qui viennent gâcher la vue dans Itchan-Kala.


Les gardiens de la porte « Palvan Darvoza » recevaient un salaire jusqu’à trois fois supérieur à celui de leurs collègues des autres portes car ils étaient chargés de surveiller les esclaves de Khiva.















Une petite histoire de Mollah Nasreddin
Pour vous remercier d’avoir lu cet article jusqu’au bout je vous livre une petite histoire de Nasreddin 😉
Nasreddin est à quatre pattes dans la pièce principale de sa maison, en train de fouiller sous les fauteuils, les tapis... Son épouse qui rentre dans la pièce lui demande ce qu'il est en train de faire...? Nasreddin lui répond qu'il vient de faire tomber sa bague et qu'il la cherche en vain depuis plus plus d'une demi-heure 😡 Un peu plus tard la femme de Nasreddin sort dans la cour de la maison et voit son mari à quatre pattes en train de faire le tour des arbres, du puits... “ Qu'es-tu en train de faire ? Je croyais que tu cherchais ta bague dans le salon de notre maison ? ” “ En effet ”, répond Nasreddin, “ mais il fait trop sombre à l'intérieur, je n'y vois rien, je préfère chercher ici ”...
… Parmi toutes ces superbes vues, j’ai cru reconnaitre le sourire d’une touriste…. C’est bien Anne ?? Profitez bien de quelques vraies pauses bien méritées après ces centaines et milliers de kilomètres à pédaler… Henri
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Perspicace Henri 🤩, en effet, en effet ! c’est bien elle qui s’est adonnée aux plaisirs du tissage (il fallait bien rentabiliser le voyage 😉). Les vacances terminées nous sommes rentrés à la maison depuis une semaine et nous nous adonnons maintenant aux plaisirs de la garde de notre petite Céleste 🤗
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Bel article Papa ! Le contenu est travaillé et les photos superbes 👍
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